Fanny Auger, dans son appartement à Paris, en mars 2017. | Claire Cocano pour M Le magazine du Monde

Après une carrière internationale de commerciale dans le secteur du luxe reconvertie en consultante, passionnée de littérature, Fanny Auger a vécu au Moyen-Orient et en Italie. Elle a posé ses valises à Paris en 2010. En 2013, elle y a ouvert School of Life – un lieu pour apprendre tout ce qu’on n’apprend pas à l’école, notamment l’art de la conversation, auquel elle vient de consacrer son premier livre, Trêve de bavardages (Ed Kero, 240 pages, 16,90 euros).

« Stop au bla-bla sans intérêt ! », écrivez-vous en préambule de votre ouvrage en invitant le lecteur à retrouver le goût de la conversation. Est-ce une façon de dire que c’était mieux avant ?

On oppose souvent le bavardage à la grande conversation, et aussi les Anglais peuvent-ils parler du temps pendant des heures. On dit même que la reine d’Angleterre, si elle vous apprécie, vous parle du temps ou des fleurs. Mais si bavarder reste plus plaisant que de ne pas se dire bonjour, remplir une rencontre de bavardage n’amène pas loin. Il faut surtout se le rappeler : les animaux communiquent mais ne conversent pas, ça nous rend humain de converser. Ce n’est pas inné pour autant, les gens doivent apprendre à s’écouter, à parler et à dialoguer.

C’est en vivant à Dubaï pendant plusieurs années que j’ai réalisé que ce qui me manquait de Paris n’était pas la tour Eiffel ou l’esprit de fête, mais bien la conversation à la française, en terrasse, en passant du temps à refaire le monde, jusqu’à pas d’heure. Je suis convaincue que la conversation est une passion française, et qu’elle est à l’origine du fameux « je ne sais quoi » qui rend le peuple français si unique pour les étrangers. Je pense que les Français ne sont pas des râleurs, mais ils râlent par amour du débat et par idéalisme, pour améliorer les choses. L’historien et philosophe britannique Theodore Zeldin le rappelle bien d’ailleurs : « A chaque fois que des hommes ont voulu changer leur manière de vivre ou de penser dans le passé, ce sont les sujets et méthodes de leurs conversations qui ont changé. »

Qu’est-ce qui fait une bonne conversation aujourd’hui ?

Il existe une grande variété de conversations : cet entretien est une forme de conversation qui s’étend au public ; la littérature, le théâtre, le conte ou même le sexe sont des conversations, à leur manière ! Voyez aussi la correspondance épistolaire : depuis quand n’avez-vous pas reçu une belle lettre ? C’est la raison qui m’a poussé à créer il y a cinq ans ma première « start-up », Lettre d’un inconnu, pour retrouver ce plaisir d’écrire, d’envoyer, d’attendre… A Damas j’ai aussi souvenir d’un hakawati (conteur arabe) formidable, qui tous les soirs venait raconter un épisode des grandes épopées arabes. C’était incroyable, plus palpitant encore que « Games of Thrones » !

Les réseaux sociaux ont bouleversé ces habitudes, et les conversations se font aussi en ligne désormais…

On peut cultiver des échanges épistolaires par courriel : je l’ai fait au début des années 2000 avec ma meilleure amie lorsque j’étais à Dubaï. Nous nous écrivions une longue lettre par jour, envoyée par email, de sorte que seul le temps d’envoi était raccourci. Mais en réduisant l’échelle du monde et en multipliant les sollicitations, les nouveaux moyens de communications ne laissent plus de place à l’impromptu, aux belles rencontres. Nous devrions nous éloigner plus régulièrement de ces outils pour redevenir attentifs, amorcer une bonne conversation, distinguer un sourire ou un geste bienveillant.

Fanny Auger : « J’aime par-dessus tout aborder des inconnus, et pour cela prendre un café au bar fonctionne souvent ». | Claire Cocano pour M Le magazine du Monde

Prendre le temps de la conversation, est-ce apprendre à bien parler ?

Oh non, il ne suffit pas de parler ! Souvent mes interlocuteurs me remercient pour la conversation que nous avons eue, ils pensent que j’ai beaucoup parlé alors que je les ai surtout écoutés ! A mes yeux, une bonne conversation ne peut se passer de trois ingrédients majeurs : le désir, l’ouverture et l’écoute. Avoir envie d’entamer une conversation et prendre le temps de le faire est essentiel pour converser dans de bonnes conditions… Inutile de se forcer, on a le droit de ne pas avoir envie, même s’il y a parfois de bonnes surprises quand on ne s’y attend pas. On peut aussi préparer ses conversations, prévoir des sujets pour alimenter les échanges mais rester ouvert à ce que l’autre vous propose est aussi une clef, l’autre a toujours quelque chose à nous apprendre…

« Etre à l’écoute permet de cultiver l’attention qu’on porte aux autres et au monde, de faire preuve de curiosité, d’empathie. »

Puis l’écoute aussi est à cultiver. « Tu as deux oreilles et une bouche, alors tu devrais écouter deux fois plus que tu ne parles » veut la sagesse populaire. Et si les gens meurent d’envie d’être écoutés, être à l’écoute permet de cultiver l’attention qu’on porte aux autres et au monde, de faire preuve de curiosité, d’empathie. On apprend ainsi, peu à peu, à se connaître soi-même : qu’est-ce que la conversation, d’ailleurs, si elle ne nous aide pas à nous définir en tant qu’être humain, à y voir plus clair, à prendre du recul en s’enrichissant de l’expérience des autres ? Donner de soi, entrer dans une vraie réciprocité, se garder de perdre du temps à parler, critiquer les autres. Le monde est magique une fois qu’on a compris la magie des conversations !

Y a-t-il des lieux qui se prêtent plus à la conversation que d’autres ?

Il est important d’avoir un lieu qui permet de s’entendre, mais pour le reste on peut converser un peu partout. J’aime par-dessus tout aborder des inconnus, et pour cela prendre un café au bar fonctionne souvent. Je pose mon téléphone, je prends la température, je parle aux gens. Je n’hésite pas non plus à faire des compliments dans la rue, dans les transports en commun. Je me suis fait des amis formidables lors de voyages en avion alors que je pensais être à côté de personnes avec lesquelles je n’aurais jamais échangé en temps normal. Il suffit parfois d’un petit rien pour que l’échange peut démarrer aussi vite qu’un feu de paille. J’ai souvent eu des coups de foudre amicaux, ce sont de vraies rencontres.

Vous arrive-t-il de couper court à une conversation ?

Oui, je n’hésite pas à le signifier franchement, à poliment indiquer que cela ne m’intéresse pas. Je me souviens ainsi d’une conversation sur la fin de vie des animaux dans les abattoirs, c’était peu de temps après les attentats du 13 novembre à Paris, je me suis excusée puis me suis levée et suis allée parler avec le barman le temps que le sujet change.

A vous lire et à vous écouter, on a l’impression que vous conversez en permanence. N’est-ce pas fatiguant parfois ?

Oh non ! Je cultive du temps pour moi. Souvent, le vendredi après-midi, je m’installe dans la bibliothèque du Fumoir, dans le 1er arrondissement de Paris, et j’y donne rendez-vous : c’est une façon de se rendre disponible dans un temps imparti. Le dimanche, que j’appelle « mon dimanche de sauvage », je ne vois jamais personne, je fais du sport, je lis, je me pose, j’écris. C’est une journée de détox que je conserve jalousement depuis des années, un sas de décompression pour m’aligner et faire le point avec moi-même. Sans cela, impossible d’être bien et de donner à d’autres dès le lundi…

Faire du ménage chez soi, en soi, permet aussi de converser plus agréablement. Quand je suis lourde de valises et d’émotions que je ne veux pas faire porter à d’autres, je n’hésite pas à annuler un rendez-vous ou à le reporter. Comme l’a écrit la poétesse américaine Maya Angelou, « les gens vont oublier ce que tu as dit, les gens vont oublier ce que tu as fait, mais les gens n’oublieront jamais comment ils se sont sentis avec toi ».

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