L’acteur et metteur en scène congolais Dieudonné Niangouna à Avignon, en 2013. | BORIS HORVAT/AFP

« Pour faire du théâtre en Afrique, il faut boxer la situation », écrit l’auteur, metteur en scène et comédien Dieudonné Niangouna dans sa pièce M’appelle Mohamed Ali (Les Solitaires intempestifs, 2014). Depuis plus de dix ans, cette phrase est le mantra de l’artiste originaire du Congo-Brazzaville. « Boxer la situation », de Brazzaville à Limoges, de Paris à Ouagadougou. Faire valser les mots, écrire comme on donne des droites, jouer avec son ventre, avec ses tripes, avec les tréfonds de son humanité. Dieudonné Niangouna est avant tout un combattant du théâtre.

Interdit de séjour à Brazzaville – où il a osé dire, en 2015, « sassoufit » à l’interminable présidence de Denis Sassou-Nguesso –, Dieudonné Niangouna continue de créer et de s’insurger. De donner à entendre sa langue tumultueuse, son verbe aussi prolixe qu’acerbe. A 41 ans, le voici donc poète en exil. Alors qu’il déclarait, dans un entretien à France 24 en 2014, qu’il fallait « mener le combat sur place », en Afrique, pour que « l’artiste africain ne soit pas un produit voué à l’exportation », il lance à présent des uppercuts à distance. Il danse, infatigable, sur le ring des dissidences poétiques.

Il aura mis en scène et joué deux pièces à Paris cette saison. Nkenguegi, au Festival d’automne, œuvre axée autour de la crise migratoire en Méditerranée, et Antoine m’a vendu son destin. Sony chez les chiens, au Théâtre de la Colline, hommage aussi bravache que vibrant à son maître disparu, le dramaturge congolais Sony Labou Tansi. « On a tenté d’interdire sa parole à Brazzaville, mais sa parole entre par toutes les portes : Sassou a mal calculé son coup ! » dit son frère d’arme, le metteur en scène et comédien burkinabé Etienne Minoungou.

« Boxer la scène »

Il faut dire que Dieudonné Niangouna s’est initié très tôt à l’art du combat. Il se rêvait acteur de kung-fu au cinéma, le gamin de Brazzaville, au début des années quatre-vingt. Son père, le grammairien Augustin Niangouna, promet de l’envoyer en Chine. Mais, avant de faire carrière dans ce que les néophytes appellent la « boxe chinoise », Dieudonné Niangouna est sommé de lire, chaque jour, un des cinq mille livres de la bibliothèque paternelle. Il découvre Sony Labou Tansi. Adieu Pékin ! Dieudonné Niangouna plonge dans le théâtre, à Brazzaville.

Les soubresauts de l’histoire rattrapent le jeune comédien. Il survit aux guerres civiles en 1993 et 1997, qui marqueront à jamais son théâtre. Au cœur du conflit, il invente sa méthode de mise en scène : la « big, boum, bah », pour « donner une réplique au son de la kalachnikov », dit-il.

En 1998, Dieudonné Niangouna est pris en otage par les rebelles Ninja. « Le théâtre lui a sauvé la vie, au sens littéral du terme, raconte Etienne Minoungou. Alors qu’il allait être fusillé, un des miliciens le reconnaît et l’épargne : “Toi, tu n’es pas un soldat, tu es un ­comédien.” » « Pour Dieudonné, le théâtre est une question de vie ou de mort », poursuit-il. Rien n’arrêtera plus l’auteur. Il crée en 2003, à Brazzaville, le festival Mantsina sur scène. Il joue au Congo, au Burkina Faso, en France, en Argentine, en Allemagne. Il est le premier artiste africain associé au Festival d’Avignon, en juillet 2013.

« C’est quelqu’un qui n’a pas peur de prendre des coups. » Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg

« J’ai tout de suite été frappé par son incroyable appétit de vivre, son immense générosité, sa passion de la transmission », raconte Stanislas Nordey, actuel directeur du Théâtre national de Strasbourg, qui partagea avec lui le statut d’artiste associé.

Dieudonné Niangouna écrit ensuite pour Etienne Minoungou le monologue M’appelle Mohamed Ali, manifeste pour le combat des artistes africains. En 2015, sa vie publique prend un tournant. Il s’oppose ouvertement à Sassou en publiant une lettre : « Nous ne sommes pas tous Néron ». La sanction est immédiate : les représentations de la douzième édition de Mantsina sur scène ne pourront se dérouler dans les salles publiques. Qu’importe, c’est dans la rue qu’elles seront données. Avant l’exil.

Loin du pays natal, Dieudonné Niangouna a trouvé des bastions pour continuer de « boxer la scène ». Sans répit, et sur tous les matchs. Sur Facebook, l’artiste dit sa colère de voir « zéro théâtre » dans la programmation du Festival d’Avignon 2017 consacrée à l’Afrique subsaharienne. Sa rage contre ceux « qui s’acharnent à repousser la vie des mots, à tuer le langage articulé venu du continent africain ». « C’est quelqu’un qui n’a pas peur de prendre des coups, confie Stanislas Nordey. Sa question première, c’est d’être là, totalement, au présent, sans calcul. Il a en lui cette conscience de la force des mots et de leur nécessité. »

Dieudonné Niangouna n’a pas fini de faire résonner, envers et contre tout, les vibrations de son verbe. Comme une nécessité, quasi organique. Il déclarait d’ailleurs à France Culture, en février 2017 : « L’art, ça sert à traverser les frontières. La première frontière à traverser c’est l’artiste lui-même, sinon il en meurt, il est étouffé (…). D’un point de vue géographique, c’est pareil, il faut que l’art traverse les continents, sinon il ne sert à rien. »

Dieudonné Niangouna participera à la table ronde « L’art sans frontière », le 31 mars, à 18 h 15, au salon ovale du Centre international universitaire pour la recherche d’Orléans, dans le cadre du Festival Les Voix d’Orléans.

Article réalisé en partenariat avec Les Voix d’Orléans.