Quinze haltes, quinze villes, quinze lieux de mémoire. Après un périple de près de 600 kilomètres depuis Bordeaux, les participants de la Grande Marche de la pleine citoyenneté arrivent à Paris samedi 1er avril. Ultime étape, la place Jules-Joffrin, dans le XVIIIe arrondissement, à 15 heures, où ils proclameront un manifeste de « la pleine citoyenneté » adressé aux candidats à l’élection présidentielle et aux Français.

A trois semaines du premier tour, face au danger que représente l’extrême droite, leur message veut rappeler que « la France est un pays mosaïque. (…) Le pluralisme, c’est une richesse », défend Karfa Diallo, fondateur et directeur de l’association bordelaise Mémoires et partage, à l’origine de la marche. « Passer par la marche nous permet de parler aux gens et d’essayer de faire une radioscopie de l’état de la citoyenneté en France. Parce que je pense qu’un examen honnête de la situation montre que nous sommes très loin de l’idéal de la citoyenneté, tel qu’il a été pensé à la fondation de la République. »

Sur le terrain, Karfa Diallo et les marcheurs ont « constaté le désarroi devant la tension identitaire » et, en même temps, « une certaine résignation de beaucoup de personnes qui ne veulent pas aller voter. La perte de repères est réelle », affirme-t-il. C’est là qu’intervient la Grande Marche. « Nous espérons que notre initiative puisse rappeler l’urgence de la citoyenneté, de revenir à ce concept qui nous réunit, malgré nos différences. »

L’association, se voulant « d’éducation populaire à la mémoire partagée », a tracé sa route jusqu’à Paris selon une ligne directrice à même de rassembler : l’histoire. Le 18 mars, à Saint-Genès-de-Blaye (Gironde), Karfa Diallo a donné le départ d’une « odyssée », comme il l’appelle. Deux semaines plus tard, lui et la cinquantaine de marcheurs ont rallié Angoulême, Châteauroux, Tours, Bourg-la-Reine… Autant de villes où ils ont évoqué la mémoire de la résistance et de la déportation, de l’industrie, du syndicalisme, de l’esclavage, de la royauté, des violences policières ou du terrorisme. Sur place, ces pèlerins de l’histoire ont déroulé leurs kakémonos, déplié leurs tables, installé une petite sono et engagé la parole avec les passants et les curieux.

Ecoles citoyennes des mémoires

Dans chaque ville, les marcheurs ont ouvert un cahier de doléances, « comme lors de la révolution de 1789 », compare M. Diallo. Les citoyens étaient invités à y écrire leurs plaintes, leurs vœux, leurs réflexions. La copie de ces cahiers sera envoyée à tous les candidats à la présidentielle. Et « quand le nouveau ou la nouvelle présidente sera élu(e), on lui enverra le manifeste, pour qu’il s’engage, qu’il le signe ». Dans ce document, le nouveau chef de l’Etat trouvera plusieurs propositions, dont celle de la création, dans toutes les villes, « d’écoles citoyennes des mémoires ».

« Nous voulons que, dans ces écoles, on puisse croiser les différentes mémoires que nous partageons dans notre pays, les faire dialoguer, les apaiser s’il y a besoin, trouver les fraternités. Ce sont des endroits où les professionnels de l’éducation, de la santé, des salariés, mais aussi des jeunes qui sont en recherche de sens et de repères peuvent venir rencontrer d’autres mémoires et décortiquer les discours qu’on leur tient parfois sur leur propre mémoire. »

Sur le terrain, Karfa Diallo et les marcheurs ont rencontré des Français de tous âges, toutes catégories sociales. « Le constat que nous faisons dans l’expression de toutes ces personnes très diverses, c’est la nécessité de la fraternité, cela revient très souvent », raconte le président de l’association. Cette fraternité s’est notamment exprimée en opposition au Front national : « Nous avons eu beaucoup de messages très hostiles à l’extrême droite, à la haine qu’elle promeut. »

Une autre forme de fraternité s’est exprimée, développe M. Diallo, chez les jeunes. Le 30 mars, les marcheurs étaient à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) pour évoquer les violences policières :

« Je me rappelle d’un jeune qui a marqué [dans le cahier de doléances] “que les forces de l’ordre deviennent des gardiens de la paix”. On trouve beaucoup cela dans l’expression des jeunes, la paix avec les forces de l’ordre. Ils ne sont pas dupes. A la fois ils ont besoin de ceux qui assurent l’ordre et la sécurité, mais en même temps, ils se rendent compte que les abus commencent à être nombreux. »

Relier les mémoires

Le lendemain, le 31, la Grande Marche était à Magnanville (Yvelines), pour honorer la mémoire de Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing, le couple de policiers assassinés par Larossi Abballa au mois de juin 2016. Face au maire, qui a refusé que les marcheurs déplient leurs tables dans sa ville, Karfa Diallo a tenté d’expliquer « qu’on pouvait à la fois revendiquer des nouveaux droits pour ceux qui sont méprisés et rejetés, mais aussi être solidaires de ceux qui défendent l’ordre et assurent notre sécurité ».

Les marcheurs ont relié des lieux de mémoire « que beaucoup veulent opposer » mais qui pourtant « ont plus à voir ensemble qu’à s’opposer », plaide M. Diallo. Rapprocher les Français en tissant des liens entre les mémoires communes, telle est l’ambition de cette Grande Marche. L’idée est très précisément venue à Karfa Diallo le soir d’un débat de la primaire de la droite. Il raconte :

« A la question “est-ce que la France est un pays multiculturel ?”, le candidat qui a été élu [François Fillon] a dit clairement que la France n’est pas un pays multiculturel, que c’est un pays judéo-chrétien. Ça m’a choqué. Ça m’a tellement choqué que j’ai décidé de faire quelque chose pour ramener la raison dans ce débat présidentiel. »

Le danger à proclamer une France judéo-chrétienne, développe Karfa Diallo, est que cela « empêche les personnes issues de la diversité de réclamer pleinement leur citoyenneté. (…) C’est retourner dans le passé. C’est se priver de l’adhésion au projet national de millions et de millions de Français. Pour les plus faibles et les plus fragiles d’entre eux, ils vont se radicaliser. »