La tour Eiffel affichera-t-elle 2024, 2028 ou restera-t-elle éteinte le 13 septembre prochain ? | Francois Mori / AP

Paris ne veut pas les Jeux olympiques de 2028.

C’est le sujet qui irrite les candidatures parisienne et californienne à l’organisation des Jeux olympiques de 2024 : l’idée, soumise par le président du Comité international olympique (CIO) en personne, que les deux prochaines éditions puissent être attribuées en même temps le 13 septembre : l’un à la capitale française, l’autre à Los Angeles.

C’est simple : on n’a jamais vu deux adversaires être autant d’accord.

Gene Sykes, directeur général du comité de candidature de Los Angeles : « Nous sommes candidats aux Jeux de 2024, seulement à ceux de 2024. »

Tony Estanguet, co-président de Paris 2024 : « [2028] n’est pas une option pour nous. »

Voilà pour la communication officielle. En réalité, c’est plus compliqué.

Pour comprendre, il faut revenir à la genèse de cette étonnante proposition. Depuis son élection à la tête du CIO en 2013, l’Allemand Thomas Bach a érigé en priorité la réforme de la procédure de candidature à l’organisation des Jeux olympiques. L’Agenda 2020 adopté par le CIO doit favoriser les villes les plus responsables sur les plans économique, social et environnemental. Mais surtout rendre l’organisation des Jeux plus attrayante.

La course aux JO 2024 est le premier test de l’efficacité de l’Agenda 2020, et il est loin d’être concluant : des cinq candidatures de départ, Boston, Hambourg, Rome et Budapest ont renoncé, faute d’enthousiasme local. Restent Los Angeles, qui a remplacé Boston au pied levé, et Paris.

Thomas Bach, qui aime voir les verres à moitié plein, en tire la conclusion suivante : « Nous avons deux excellents candidats issus de deux grands pays de l’olympisme. C’est une position souhaitable. » En réalité, deux villes candidates pour des Jeux olympiques d’été, c’est le choix le plus faible depuis ceux de 1988 (Séoul et Nagoya, notamment par crainte d’un boycott soviétique comme à Los Angeles quatre ans plus tôt), et le même total que pour les Jeux olympiques d’hiver 2022, à l’époque deux candidatures de pays autoritaires (Pékin et Almaty). Le CIO craint un processus encore plus désastreux pour 2028, pour lequel aucun pays ne s’est encore réellement manifesté.

Thomas Bach tâte le terrain

Ainsi Thomas Bach suggère-t-il de répartir, le 13 septembre, les JO de 2024 et 2028 entre ces deux candidats très présentables.

« Les comités nationaux olympiques qui étudient la possibilité de candidater pour 2028 Italie, Azerbaïdjan, Espagne, Turquie , pourraient être frustrés, mais le CIO préfère toujours assurer le coup à court terme plutôt que réfléchir à moyen ou long terme », analyse Armand De Rendinger, journaliste indépendant spécialiste de l’olympisme et auteur de La Cuisine olympique (décembre 2016, éditions Temporis) .

Thomas Bach, dont les désirs sont le plus souvent des ordres au sein de l’institution, a chargé quatre vice-présidents d’étudier la question jusqu’à la prochaine réunion de la commission exécutive du CIO, mi-juillet à Lausanne. Ce qui lui laisse le temps de tâter l’opinion de la famille olympique et de trouver une solution qui conviendrait aux deux villes candidates.

« Si le CIO rend cette hypothèse publique, c’est pour faire en fonction des réactions, dont il souhaite qu’elles soient favorables, poursuit Armand de Rendinger. Ils ne veulent pas passer en force mais mettent les deux villes devant leurs responsabilités. »

La réunion du groupe Sport Accord à Aarhus, au Danemark, est l’occasion pour les deux villes de présenter leurs projets aux Fédérations internationales. Mais le discours qui comptera vraiment sera celui que Thomas Bach tiendra aux représentants et élus de Paris et Los Angeles sur la question du double vote.

Pour Paris, « c’est maintenant ou jamais »

Le directeur général de Paris 2024, Etienne Thobois, refuse, pour l’instant, d’envisager cette possibilité et plaide pour le retour des Jeux olympiques à Paris un siècle après et en Europe au nom de l’alternance des continents :

« On esssaye de ne pas trop se laisser déconcentrer, a-t-il assuré vendredi lors d’une rencontre avec la presse dans les bureaux de la candidature parisienne. Vous faites de la supputation. Tant que la question n’est pas posée officiellement, on n’a aucune raison d’y répondre. On reste concentré sur 2024. Tout ce qu’on a fait, c’est pour être prêt pour 2024. La dynamique est lancée maintenant. Si on l’arrête demain, qu’est-ce qui se passe ? On ne sait absolument pas si on aurait la capacité à regénérer tout ça. »

En déplacement à Londres la semaine dernière pour rencontrer les médias anglais, Tony Estanguet avait été davantage offensif contre l’hypothèse d’une double attribution. Et semblait se prononcer définitivement contre les Jeux de Paris 2028.

« C’est la quatrième candidature de Paris et nous pensons que c’est maintenant ou jamais. C’est la dernière chance de voir Paris candidater pour accueillir les Jeux. Après, je pense que Paris et la France feront autre chose. () Soit la famille olympique veut choisir Paris pour 2024, soit nous ne reviendrons pas pour 2028. »

« Si tu dis 2028, je te pousse » | THOMAS SAMSON / AFP

« Le premier qui dit : “ça m’est égal” a perdu les JO 2024 »

L’ultimatum ne plaira pas forcément à ses homologues du CIO, jaloux de leurs prérogatives. Président de la candidature rivale, le Californien Casey Wasserman a fait allusion à cette sortie de Tony Estanguet dans un long message publié vendredi sur Medium, dont on imagine que chaque mot a été pesé au trébuchet. LA 2024 s’y montre plus ouverte à la stratégie de Thomas Bach, tout en essayant de convaincre qu’elle est la solution idéale pour rassurer l’opinion sur l’intérêt d’accueillir les Jeux.

« La stratégie 2024-2028 étudiée par le CIO est précisément le type de réflexion nouvelle dont le mouvement olympique a besoin. Mais cela ne marchera que si le CIO choisit la bonne ville pour 2024  une ville qui apporte de nouvelles idées et de nouvelles solutions aux Jeux –, et non une ville comme les précédentes. Plutôt que “maintenant ou jamais”, nous pensons que le CIO devrait réfléchir en termes de  “du neuf, ou comme avant ?” Cette ville, c’est LA ; et au fait, LA 2024 n’est pas un ultimatum, LA 2024 est une opportunité. Mais comme dans la vie, les opportunités n’existent que pour un temps. »

Les deux candidatures jouent un jeu à haut risque. « Le premier qui dit “ça m’est égal” a perdu les Jeux de 2024, souligne Armand De Rendinger. Mais si cette double attribution ne se fait pas, on pourrait accuser la ville qui s’est montrée le plus fermée de contrecarrer les plans du CIO. » 

L’inconnue de la réaction du CIO

Paris et Los Angeles se retrouvent dans une situation paradoxale : celle de devoir montrer leur opposition à un projet qui leur garantirait chacune de recevoir les Jeux olympiques et laisserait même à l’une des deux quatre ans supplémentaires pour boucler ses travaux.

Pour Paris, qui doit construire en Seine-Saint-Denis le village des athlètes, la zone réservée aux médias et la piscine olympique, cela éloignerait le risque de travaux terminés en quatrième vitesse, et donc d’un surcoût. Les Français affirment toutefois que les terrains prévus pour le village olympique – à cheval sur Aubervilliers, Saint-Denis et L’Île-Saint-Denis – ne seront sans doute plus disponible à l’horizon 2028.

A ces équations s’ajoute l’inconnue de la réaction des membres du CIO, dont beaucoup ont déjà exprimé leur circonspection devant le processus de double vote : la désignation de la ville olympique étant leur plus grande source de pouvoir, Thomas Bach aura du mal à convaincre une majorité de l’intérêt de sa proposition. Qui est donc loin d’être sur la table.