D’un geste allant de la bouche vers l’avant, la main droite signe « bonjour ». Au centre universitaire Dauphine, à Paris, dans les locaux de l’Ecole supérieure d’interprètes et de traducteurs (Esit), dix-sept étudiants suivent l’un des cinq masters français qui forment des interprètes en langue des signes française (LSF).

Manches relevées, buste droit, regard adressé au reste de la classe : ils interprètent chacun à leur tour des propos du français vers la LSF et de la LSF vers le français. « Adresse bien ton discours en regardant plus vers nous et évite les tics de langage », demande Samuel Hibon, interprète professionnel, à Ingrid, étudiante en master 1. « Il y a aussi cette manière de signer Je ne l’ai pas vu depuis longtemps », suggère-t-il à Florian en faisant glisser une main sur la paume de l’autre après avoir pointé du doigt son œil. Tout au long de la formation, les étudiants apprennent à développer des techniques d’interprétation, d’abord en consé­cutive (à la suite d’un discours de quelques minutes), puis en simultanée (en même temps que le locuteur s’exprime).

Des étudiants déjà bilingues

Cette formation exigeante est accompagnée de cours théoriques sur la traduction, sa déontologie, ainsi que sur l’environnement politique et social actuel. Tout cela est mis en pratique durant les six semaines de stage imposées chaque année ou lors des réunions publiques auxquelles participent parfois les étudiants, s’il n’y a pas d’autre interprète disponible.

Malgré un cours de perfectionnement en LSF avec un enseignant sourd, le master n’est pas une formation à la langue. Pour l’intégrer, les étudiants doivent être quasiment bilingues, avoir un niveau licence et une réelle connaissance de la culture sour­de. « Lors de l’examen d’admission, nous testons la clarté et la fluidité dans l’expression des ­candidats. On leur présente à l’oral une histoire qu’ils doivent signer aux examinateurs sourds. Et vice versa, de la LSF vers le français », décrit Sophie Pointurier-Pournin, la directrice du master. Les candidats passent ensuite un entretien au cours duquel leur motivation, leur curiosité et leur connaissance de la culture sourde sont évaluées.

Même s’il n’est pas obligatoire pour exercer, ce diplôme répond à une volonté de professionna­liser l’interprétation LSF : « Le master m’a rendue plus légitime auprès des sourds qui exigent de travailler avec des interprètes diplômés », explique Juliette Huard, interprète formée à l’Esit après avoir travaillé pendant deux ans comme accompagnatrice scolaire d’enfants sourds.

100 % d’insertion

Salariés ou travailleurs indépendants, environ 400 interprètes diplômés exercent aujour­d’hui en France, pour une population estimée à 120 000 sourds et 360 000 malentendants sévères. « L’insertion professionnelle des étudiants est de 100 %, souligne la directrice du master. Dans beaucoup de zones, surtout à la campagne, il n’y a aucun service pour les personnes sourdes. »

Plusieurs écoles et universités proposent des cours et formations à la LSF préparant au master d’interprète. En cinq mois, avec une formation intensive de trente heures par semaine, les étudiants peuvent atteindre le niveau B2, qui correspond à une maîtrise fine et autonome de la langue. « Pour prétendre intégrer le master, il faut que les candidats aient quelques années d’expérience auprès de personnes sourdes, prévient Sophie Pointurier-Pournin. Pour cela, ils peuvent ­facilement trouver des petits jobs dans des associations ou des structures éducatives afin de pratiquer la langue, de s’immerger dans cet univers et de comprendre ses subtilités. »