Le tableau de l’artiste Dana Schutz « Open Casket » représentant un adolescent noir tué par des suprématistes exposé à la Biennale du Whitney Museum. | Alina Heineke/ AP

Une artiste blanche a-t-elle le droit de représenter le cadavre d’un homme noir ? Tel est l’enjeu d’un débat qui fait rage dans la communauté artistique depuis l’ouverture de la Biennale du Whitney Museum, à New York. L’objet de la discorde, Open Casket, une peinture réalisée par Dana Schutz, s’inspire d’une photo du cadavre au visage défiguré d’Emmett Till, gamin de 14 ans torturé et tué en 1955 par les suprématistes blancs du Mississippi. Une image devenue une icône des droits civiques.

Or, on ne touche pas aux icônes sans permission, estime la communauté artistique noire. Le jour du vernissage, le 17 mars, l’artiste new-yorkais Parker Bright s’est placé devant le tableau pour en barrer la vue. Avec cet argument : les Blancs n’ont pas à faire circuler des images de violence raciste. Sa consœur Hannah Black a également haussé le ton dans une lettre ouverte publiée sur Facebook, et signée par une vingtaine d’artistes, appelant au retrait et à la destruction du tableau. Ni plus ni moins ! « Il est inacceptable qu’un Blanc transforme la souffrance noire en profit et en spectacle », écrit-elle. Et d’enchaîner : « La liberté de parole blanche, la liberté créative blanche repose sur la contrainte des autres. Il ne s’agit pas de droits naturels. »

« Je sais ce que c’est que d’être mère. Emmett était l’enfant unique de Mamie Till. L’idée même que quelque chose arrive à votre enfant est impossible. Leur souffrance est notre souffrance. » Dana Schutz

Ainsi, personne n’a rien trouvé à redire à l’œuvre d’Henry Taylor, également exposée à cette biennale, représentant le meurtre de Philando Castile, en 2016, par un policier du Minnesota. Pourquoi cette peinture-ci serait-elle plus tolérable qu’Open Casket ? Parce que cet artiste afro-américain peut s’identifier à Philando Castile, répond Parker Bright. En revanche, poursuit-il, une Blanche, qui ignore dans sa chair la violence faite aux Noirs n’a pas à s’exprimer en leur nom.

En réaction à cette polémique, Dana Schutz a admis ne « pas savoir ce que c’est que d’être Noir en Amérique ». Mais, écrit-elle dans un communiqué publié aussitôt, « je sais ce que c’est que d’être mère. Emmett était l’enfant unique de Mamie Till. L’idée même que quelque chose arrive à votre enfant est impossible. Leur souffrance est notre souffrance ». Interrogée par le site spécialisé dans l’art Hyperallergic, elle a également dit comprendre la colère de ses détracteurs, avant d’ajouter être opposée à toute censure et à toute destruction d’œuvre.

L’hallali que subit Dana Schutz a fait réagir Coco Fusco. Dans une tribune publiée, le 27 mars, par Hyperallergic, cette artiste d’origine cubaine met en garde contre tout dogmatisme, blanc ou noir : « Hannah Black et ses compères se placent du mauvais côté de l’Histoire, du côté des phalangistes qui brûlent les livres, des régimes autoritaires qui censurent et emprisonnent les artistes, des fondamentalistes religieux qui interdisent des œuvres au nom de Dieu. »

Le 23 mars, l’affaire a connu un dernier rebondissement. Plusieurs sites d’information ont publié une lettre d’excuse dans laquelle Dana Schutz faisait son mea culpa et réclamait solennellement le retrait de l’œuvre. Patatras ! Ce courrier, vite retiré de la Toile, s’est révélé être un faux, l’adresse e-mail de l’artiste ayant été hackée.