Les commerces de Cayenne, en Guyane, ont baissé leur rideau en guise de protestation lors des négociations entre les militants et le gouvernement, le 3 avril. | JODY AMIET / AFP

Comme il était prévisible, le premier ministre Bernard Cazeneuve, qui avait réuni lundi 3 avril dix membres de son gouvernement à Matignon, dont les ministres de l’intérieur, Matthias Fekl, et des outre-mer, Ericka Bareigts, pour faire le point sur la situation en Guyane, a écarté la demande du collectif Pou Lagwiyanne dékolé de débloquer une enveloppe supplémentaire de 2,5 milliards d’euros pour la Guyane. « Il serait très facile, sans doute aisé, de céder à la facilité et de promettre des mesures et des aides financières d’un montant irréaliste, puis d’en laisser la charge et la responsabilité à un autre gouvernement, a déclaré le premier ministre à l’issue de cette réunion interministérielle. Ce n’est pas la conception que nous avons de la responsabilité. (…) Je ne m’engagerai que sur ce que nous savons pouvoir tenir et financer. »

Onze accords trouvés

Le chef du gouvernement a recensé l’ensemble des mesures qui avaient été actées, à la fois dans le cadre du plan de mesures d’urgence pour la Guyane, pour un montant de 1,085 milliard d’euros, et des accords sectoriels signés dans la nuit de samedi à dimanche. Pas moins de onze accords ont été trouvés dans les domaines de la sécurité et la justice, la pêche, les transports, le bâtiment, les travaux publics, le tourisme, les mines, le développement de l’agriculture, l’énergie, la situation des communautés amérindiennes et bushinengués, le foncier ou l’éducation routière. « Des protocoles ont été signés, la parole de l’Etat est ainsi officiellement engagée », a précisé le premier ministre.

Malgré le refus du collectif, dimanche soir, de signer le protocole d’accord, le gouvernement entend donc bien mettre en œuvre les engagements qu’il a pris. « Il faut désormais graver dans le marbre ce qui a été longuement négocié et acté, faute de quoi tout ce travail risque d’être perdu », a redit M. Cazeneuve. A l’occasion du conseil des ministres de mercredi, toutes ces mesures seront actées. « J’en appelle encore une fois à la raison et à la levée des barrages. Bloquer la Guyane, bloquer son économie, bloquer ses écoles, bloquer ses services publics, ce n’est pas ainsi que l’on peut préparer l’avenir », a lancé le premier ministre à l’adresse du collectif de mobilisation.

Intimidation à Cayenne

Sur place, après la mobilisation qui avait accompagné les négociations entre les ministres et les représentants du collectif, régnait lundi une étrange atmosphère. Les barrages aux principaux carrefours routiers ont été maintenus et Cayenne s’était transformée en « ville morte » à la suite de l’appel lancé dimanche soir par le collectif. Un appel largement suivi, d’autant que le lundi est une journée de moindre activité pour les commerces.

Ceux qui, malgré tout, avaient décidé de rester ouverts ont néanmoins été contraints à la fermeture par les « milices » des « 500 frères contre la délinquance ». Durant toute la matinée, les hommes en noir et cagoulés, circulant à bord de bus et pick-up, ont sillonné les rues de la préfecture. Dès qu’ils repéraient un magasin ou un établissement ouvert, ils descendaient et intimaient l’ordre à son propriétaire de fermer boutique. Ce que ce dernier s’empressait de faire sans émettre la moindre protestation.

Un climat d’intimidation tout aussi manifeste lorsque, dans l’après-midi, une délégation du collectif a rencontré l’Association des maires de Guyane, à la Maison des maires. Les élus, depuis le début du mouvement, sont largement dépassés, mais il faudra bien, à un moment ou à un autre, qu’ils rentrent dans le jeu car la mise en œuvre de bon nombre des mesures et des fonds promis par le gouvernement est de leur ressort et de leur responsabilité.

Bataille de pouvoir

Mais, pour le collectif, ce sera à ses conditions : ses représentants entendent être associés directement à l’utilisation des fonds et à leur contrôle. Et c’est sous l’imposante présence d’une trentaine de « frères » que les discussions ont eu du mal à s’engager, les porte-parole des « 500 frères » n’hésitant pas à interpeller véhémentement les élus présents et leur président, David Riché, maire de Roura.

Ces scènes témoignent combien les « 500 frères », forts de leur popularité et des moyens dont ils disposent, imposent à la fois respect et crainte dans la population. Les autorités, de leur côté, conscientes que la moindre étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres, cherchent autant que possible à éviter la confrontation.

Hormis la frange la plus radicale du mouvement, nombreux sont ceux qui craignent une possible dérive car ce groupe qui a assise sur la mobilisation est passé en quelques semaines d’une trentaine de membres à plus d’une centaine. Une nouvelle journée test doit avoir lieu mardi avec le grand rassemblement appelé au rond-point de Carapa, à Kourou, non loin de la cité spatiale.