Le premier ministre, Bernard Cazeneuve, n’imaginait sans doute pas, en mettant solennellement en place le 24 janvier la commission du Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire, que le contexte serait aussi agité au moment de la restitution de ses travaux. Cette commission, présidée par Jean-René Lecerf, président Les Républicains (LR) du conseil départemental du Nord, doit rendre mardi 4 avril au ministre de la justice ce Livre blanc apportant des propositions pour que la nouvelle génération de prisons ne connaisse pas les tares du système carcéral actuel.

Or, en quelques jours, les problèmes des prisons ont resurgi. Le directeur de l’administration pénitentiaire, Philippe Galli, nommé en septembre 2016, a démissionné le 31 mars, invoquant un défaut « de confiance et de respect » de la part du cabinet du garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas. Deux jours plus tôt, alors que tombaient les chiffres sur un nouveau record du nombre de détenus en France (69 430 au 1er mars), la directrice de la maison d’arrêt de Seine-Saint-Denis informait les tribunaux qu’elle ne pouvait plus accueillir un seul détenu de plus. Avec 1 132 personnes pour 582 places, la prison de Villepinte affiche un taux d’occupation jamais atteint de 201 %.

Nécessité d’une révolution culturelle

Six mois après la publication du rapport du ministre de la justice intitulé « En finir avec la surpopulation carcérale », la question est plus que jamais d’actualité. Le Livre blanc martèle que la construction de nouvelles places de prison ne sera pas une solution aux problèmes actuels à moins qu’elle ne soit accompagnée d’une révolution culturelle.

Selon nos informations, la commission présidée par M. Lecerf, l’ex-sénateur LR, rapporteur de la loi pénitentiaire de 2009, propose de réguler les flux d’incarcération afin de respecter strictement les capacités d’accueil des nouveaux établissements et d’accompagner la résorption de la surpopulation dans les établissements existants. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un numerus clausus, mais d’instaurer une pratique en concertation avec les magistrats afin de lier l’augmentation de la capacité à une décrue de la densité, sans pour autant viser une baisse du nombre de détenus. Car ce Livre blanc, présenté en quatre parties, part du constat que « les précédents programmes immobiliers ont échoué à endiguer la surpopulation carcérale ».

Spécialiste de longue date des questions pénitentiaires, M. Lecerf avait d’emblée affiché la couleur le 24 janvier en rappelant qu’« une société se juge à l’état de ses prisons », selon la citation prêtée à Albert Camus. « J’ai rencontré la misère et la désespérance humaines, dans ce monde clos, hors du temps et des préoccupations de la plus grande part de la société », avait affirmé cet élu de l’opposition choisi par M. Urvoas pour mener cette mission. La commission du Livre blanc, composée d’une cinquantaine de personnalités qualifiées, parlementaires, magistrats et responsables pénitentiaires, ne devait pas être soupçonnée d’être partisane afin que ses travaux puissent nourrir la prochaine majorité. Car, au vu de l’effort financier qu’il faudra tenir dans la durée si des programmes de construction de 10 000 à 16 000 places étaient confirmés, une loi de programmation sera nécessaire.

Renoncer aux grandes prisons

Divisée sur l’intérêt des recours au financement privé pour un tel programme, les fameux partenariats publics-privés, la commission Lecerf recommande en revanche de renoncer aux grandes prisons de 1 000 détenus ou plus. Elle propose surtout de différencier davantage les niveaux de sécurité, et donc de coût, selon les établissements. Les délinquants sexuels ou les délinquants de la route ne représentent par exemple pas le même risque d’évasion que les personnes du grand banditisme.

Répondant au souhait exprimé par le garde des sceaux de « combattre l’oisiveté en détention », le Livre blanc recommande de concevoir les établissements « autour d’une journée de détention principalement organisée en dehors de la cellule ». Avec, comme corollaire, de faire de l’offre de cinq heures d’activité par jour une norme contraignante pour l’administration. Tout cela nécessitera une meilleure collaboration des collectivités territoriales et des services de l’Etat.

Loin d’un fantasme sur des prisons cinq étoiles, il s’agit pour M. Lecerf de « faire du temps d’emprisonnement un temps utile, fécond (…), meilleur rempart contre la récidive », avait-il plaidé devant M. Cazeneuve le 24 janvier.