Des électeurs dans un bureau de vote à Saint-Malo-du-Bois (Pays-de-Loire), le 6 décembre 2015. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP

Après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis et le séisme du Brexit, la prochaine élection présidentielle française retient l’attention de tous. Et notamment de résidents étrangers qui s’exprimeront à travers le vote de leurs enfants nés en France.

« Bien qu’ils ne votent pas, mes parents se sont toujours sentis très concernés par la politique du pays où sont nés leurs enfants », témoigne Yasmina Ouadira, une Française de 34 ans, cadre de la fonction publique territoriale à Créteil (Val-de-Marne). Originaires de la région rurale de Nador, au Maroc, les parents d’Yasmina sont arrivés en France dans les années 1970. La mère a élevé leurs cinq enfants pendant que le père travaillait dans le secteur hygiène et propreté d’une entreprise privée.

Peu instruits mais socialement intégrés et concernés, ils sont sensibles aux discours et à la vie politique française. « On vit en France depuis tellement longtemps qu’on ne peut que s’intéresser à ce qui s’y passe… même si je me sens impuissant à chaque élection, affirme Mohammadi, le père. Très tôt, j’ai sensibilisé mes enfants à l’importance de faire entendre leur voix dans les urnes. Comme je ne peux pas le faire, j’exprime la mienne à travers leurs votes. Je ne leur impose pas un choix… même si on en discute ! »

Retraités, les parents d’Yasmina Ouadira gardent en mémoire l’élection présidentielle de 2002 qui a vu la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour. « Nous n’avions jamais imaginé le voir si proche de la victoire : c’était effrayant, au point d’imaginer devoir quitter le pays », se souvient le père. Alors qu’ils sont engagés depuis bientôt quatre ans dans un processus de naturalisation, ils espèrent ne pas revivre un tel scénario et pouvoir bientôt participer pleinement à la vie démocratique.

La situation est assez similaire pour Kadiatou (elle n’a pas souhaité donner son nom de famille), titulaire d’une maîtrise en relations internationales. « Arrivée en France au début des années 1980, à l’âge de 16 ans, ma mère n’a jamais pu jouir de son droit de vote, pas plus au Mali, d’où elle est originaire, qu’en France, son pays d’adoption », raconte-t-elle.

Agent en ressources humaines dans un établissement d’insertion professionnelle pour travailleurs en situation de handicap, Kadiatou se souvient de sa première fois dans l’isoloir : c’était à l’occasion de l’élection présidentielle de 2012. « Je ne saurais expliquer si c’était dû à l’euphorie de mon premier vote ou à de réelles convictions, mais j’avais beaucoup d’espoir », dit-elle.

« Je suis scandalisée par l’indignité des candidats »

Déçue par le quinquennat de François Hollande, elle se dit inquiète de l’ascension du Front national et Cissé, sa mère, encore plus. « Bien qu’ils soient Français, j’ai peur pour mes enfants d’une victoire de Marine Le Pen », affirme cette dernière. Soucieuse de l’avenir du pays, Cissé n’hésite pas à interpeller ses six enfants sur l’importance du devoir civique : « Je n’interviens pas dans leur choix, mais je leur impose de le faire. Je ne comprends pas qu’un citoyen n’use pas de son droit de vote : c’est irresponsable. »

En France depuis plus de trente ans, Cissé s’intéresse beaucoup plus à ce qui s’y passe qu’au Mali. « Je n’ai pas la nationalité et je ne vote pas, mais je me considère comme Française. Je suis concernée, et ma voix s’exprime à travers mes enfants. » En pleine campagne électorale, mère et fille sont, comme beaucoup de Français, outrées par la multiplication des affaires. « C’est à celui qui mentira le mieux, s’indigne Kadiatou. Je suis scandalisée par leur manque de dignité. Les récentes affaires concernant François Fillon ne sont que la partie visible de la malhonnêteté des politiques. »

Un dégoût qui peut conduire certains à ne plus souhaiter déposer leur bulletin dans l’urne. « Mon frère ne vote pas, car il pense que ce n’est pas sa voix qui va faire changer les choses », s’indigne Nordine (il n’a pas souhaité donner son nom de famille), né en France au début des années 1980. Ingénieur informatique pour un grand établissement bancaire français, ce trentenaire dont les parents sont arrivés d’Algérie peu après l’indépendance attache, lui, beaucoup d’importance au fait d’aller voter : « Je vote par conviction afin que ma voix soit entendue. »

Pensant rentrer au pays après quelques années, Ali, son père, aujourd’hui âgé de 78 ans, n’a jamais entrepris de démarche de naturalisation, même s’il se sent pleinement concerné par la vie sociale et démocratique du pays où sont nés six de ses sept enfants : « Je m’imaginais rentrer en Algérie, mais après tant d’années passées ici, quitter mes enfants et reconstruire une nouvelle vie ailleurs n’est plus qu’un lointain mirage. »

Bien qu’il ne puisse exprimer sa voix, Ali, à l’instar de beaucoup de résidents étrangers, s’intéresse à la vie politique française, sans chercher à influencer le choix de ses enfants. « J’ai décidé de rester Algérien, mais je suis sensible aux choix qui sont faits ici, car ils nous concernent tous, Français comme étrangers. De plus, la question du retour peut s’imposer à nous si Mme Le Pen accède au pouvoir. »

Paroles de sans-voix, un projet original

Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas – ou si peu – dans le débat public, et ce à l’approche des échéances électorales que l’on sait : c’est la raison d’être du projet éditorial Paroles de sans-voix, fruit d’un partenariat entre Le Monde, l’Association Georges-Hourdin (du nom du fondateur de l’hebdomadaire La Vie, qui appartient au groupe Le Monde) et cinq associations actives dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion (Amnesty International, ATD Quart Monde, Cimade, Secours catholique, Secours islamique).

Autre aspect original de l’opération : les articles sont rédigés – et les vidéos tournées et montées – non par la rédaction du Monde mais par l’équipe des Reporters citoyens, des jeunes issus de quartiers populaires d’Ile-de-France qui ont suivi une formation gratuite au journalisme multimédia.