Magoz

Cette année, 61 863 élèves de terminale sur plus de 486 000 bacheliers généraux et technologiques en 2016 ont placé en premier vœu sur APB une classe préparatoire aux grandes écoles. Un choix de raison, mais qui méconnaît parfois les répercussions psychologiques sur les élèves : la cadence et la charge de travail, le rythme des évaluations, la notation souvent très rugueuse ou les critiques tranchantes de certains enseignants produisent inévitablement un fort stress. De même que la pression familiale, réelle ou supposée, et l’intériorisation par les élèves de ces attentes.

Sollicités par un appel à témoignages publié sur Lemonde.fr, élèves mais aussi enseignants préviennent : le choix de la classe préparatoire ne doit pas être envisagé à la légère – il est même déconseillé aux anxieux – et les élèves de prépa doivent impérativement être entourés et aidés.

Deux mois avant ses concours, Guillaume (à sa demande, son prénom a été modifié, comme ­celui de la plupart des élèves interrogés dans cet article), aujourd’hui élève ingénieur, s’était ainsi « tout bonnement arrêté de travailler » face à la pression : « Je me serais replié sur moi si mon meilleur ami, qui étudiait dans une prépa voisine, n’était pas venu me voir au moment où j’ai craqué. C’est lui et ma famille qui m’ont aidé à traverser ce passage à vide et à me remettre en course avant le début des concours. »

Une aide rassurante

De même, Camille, qui a passé trois ans en prépa scientifique, a fini par atteindre ses limites : perdant 6 kilos en un mois, elle « craque » aussi psychologiquement. « Etant dans une prépa soudée, l’aide des personnes de ma classe m’a permis d’aller mieux, témoigne-t-elle cependant. J’ai aussi eu la chance d’avoir des professeurs attentifs qui ont su apercevoir ma détresse. Ils ont pris le temps de m’écouter et ont allégé mon emploi du temps sur une semaine, en ne tenant pas compte de mes DS [devoirs surveillés] et colles [interrogations orales ou écrites] sur une semaine », rapporte-t-elle. Ce qui lui a permis de rebondir.

« Heureusement que mes professeurs sont là, témoigne aussi Baptiste Parsys, en prépa scientifique au lycée Saint-Louis, à Paris. Ce sont eux qui sont le plus aptes à nous aider, ils ont une attention très particulière à l’ensemble de la classe. » C’est cette aide rassurante et les conseils de ses enseignants, ajoutés au soutien mutuel entre camarades, qui l’aident à continuer.

« Il y a autant de cas que de prépas », insiste Sophie Quief, professeure prépa commerciale en Ile-de-France . Ancienne élève à Lakanal (Sceaux), elle exerce ce métier depuis dix ans et a connu trois établissements dans trois régions. « En prépa, on est stressé car on prépare un concours, et non pas un examen, explique-t-elle. C’est renforcé par le fossé qui se creuse entre les modes d’évaluation au lycée, de plus en plus limités à la restitution des connaissances plutôt que centrés sur l’analyse et la réflexion personnelle, et la prépa. ­Depuis trois ans, j’ai donc changé totalement ma pédagogie. »

A côté de ce stress inhérent à l’exercice, Sophie Quief est aussi consciente que certains élèves sont fragilisés par la distance avec leur famille. Et qu’il faut combattre le stress gratuit : « Sur trente élèves, on en a deux, ou au maximum trois, trop stressés pour avoir encore envie d’apprendre, et surangoissés. Dans ma prépa de proximité, on ne met pas de stress supplémentaire aux élèves : l’atmosphère compte beaucoup », explique l’enseignante. Ses conseils aux élèves : continuer à se faire plaisir, ne pas abandonner le sport – son lycée organise des soirées volley-pizza –, savoir décompresser – un atelier de shiatsu est proposé dans l’établissement – ou garder un esprit de groupe : « Nous ­contre le reste du monde ! »

Sophie Quief bondit parfois en lisant certaines appréciations sur des dossiers d’élèves issus de prépas parisiennes plus élitistes. « Mais ce n’est pas une généralité : il y a des cas individuels et une tradition de certains collègues élevés dans la culture de l’obéissance, voire de l’humiliation, mais qui est en train de disparaître », estime-t-elle.

Avant de déposer un dossier pour une prépa, elle recommande de tester l’ambiance de l’établissement, notamment lors des journées portes ouvertes. Et d’être vigilant aux premières alertes. Pour certains élèves, la souffrance apparaît en effet dès le début. Comme cette jeune femme embarquée en première année de prépa scientifique à Paris, qui n’avait « pas fait prépa par choix : dans la famille, c’était simple, il fallait faire grande école ou médecine, point ». Elle a très mal supporté l’accumulation de travail, les nuits blanches à réviser et le classement des élèves.Dès la fin des vacances de la Toussaint, « j’ai commencé à avoir envie de me faire du mal pour finir à l’hôpital et ne pas pouvoir aller en cours, raconte-t-elle. Je n’osais pas en ­parler, de peur d’être vue comme faible ou flemmarde, parce qu’après tout, avec un 17 en maths au bac, il n’y avait pas de raison que je ne sois pas à la hauteur ».Elle devra finalement arrêter au second semestre, une fois la cote d’alerte atteinte : « J’ai mis plus d’un an à me relever et j’ai encore aujourd’hui des séquelles de cette dépression », témoigne la jeune femme de 25 ans.

Nerfs mis à rude épreuve

C’est lors du passage en deuxième année que d’autres voient leurs nerfs mis à trop rude épreuve. En prépa littéraire à ­Paris, Clara souffrait ainsi d’une ambiance qui se dégradait car « environ une personne sur deux est acceptée en seconde année, la khâgne » et « la comparaison entre camarades était constante : qui va passer ? qui ne passera pas ? T’as vu il/elle est sorti(e) en larmes dela colle. Tant mieux, ça fera une place de plus pour moi ». Elle s’est inscrite ailleurs en deuxième année, et dit s’être « sentie très seule » face à cette démarche.

Enfin, certains élèves cèdent dans la dernière ligne droite. Comme Elisabeth, qui a « surtout souffert en seconde année de classe préparatoire : cela s’est traduit par des problèmes de digestion et une explosion de [s]on anxiété, ce qui a toujours un impact sur [elle] aujourd’hui ».

« La seule fois où nous avons été prévenus du risque, ajoute-t-elle, c’était lors d’une réunion de début année, de celles où personne n’écoute vraiment, parce qu’on ne pense pas que cela nous concernera. J’ai donc souffert en silence pendant des mois, sans le montrer, et personne ne s’en est aperçu. » Jusqu’à ce qu’elle craque, une semaine avant les résultats des écrits, et qu’elle s’arrête, à deux doigts de l’objectif.