A Mocoa, dans le sud de la Colombie, le 2 avril. | Fernando Vergara / AP

Le bilan humain de la coulée de boue qui a dévasté, samedi 1er avril, la ville colombienne de Mocoa, dans le sud du pays, continue de s’alourdir. Lundi, les chiffres officiels faisaient état de 262 morts, dont 43 enfants. Plus de 200 personnes sont encore portées disparues, et l’espoir de les retrouver vivantes s’amenuise. Militaires et secouristes s’occupent désormais des survivants. Ingénieurs et ouvriers travaillent à la reconstruction du système d’adduction d’eau et du réseau électrique, alors que démarre une campagne de vaccination.

Lundi, après avoir déclaré « l’état d’urgence économique, sociale et écologique » dans toute la région, le président Juan Manuel Santos est retourné pour la troisième fois sur la zone du sinistre. La veille, à la télévision, le chef de l’Etat s’est engagé à « reconstruire Mocoa et lui rendre son futur ». Mais, crédité de moins de 20 % d’opinions favorables dans les sondages, il est la cible de critiques sur les réseaux sociaux. « L’argent des donations va-t-il finir dans la poche des politiciens corrompus ? », interroge un internaute sceptique. « De l’argent pour Mocoa, pas pour la guérilla », écrit un autre.

Les initiatives se multiplient

La politique de paix engagée par M. Santos avec les guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) s’invite dans le drame. En voie de démobilisation, l’organisation armée a proposé d’envoyer à Mocoa 400 guérilleros cantonnés dans la région pour aider aux secours et à la reconstruction. Depuis fin janvier, les quelque 7 000 combattants des FARC sont regroupés dans 28 zones sur l’ensemble du pays. Le président s’est abstenu de répondre à la proposition des chefs guérilleros.

Samedi, un sénateur du Centre démocratique (CD), le parti de l’ex-président Alvaro Uribe très opposé au processus de paix, avait soulevé un tollé en déclarant « détenir des informations » prouvant que la coulée de boue avait été causée par des explosifs laissés par les FARC. Il s’est rétracté ensuite. Les « uribistes » ont aussi été critiqués pour avoir maintenu samedi matin une manifestation contre le gouvernement de M. Santos, à l’heure ou le pays prenait conscience de l’ampleur de la catastrophe. M. Uribe a depuis pris la tête d’une « donation marathon » à travers tout le pays.

Généreuses ou calculées, les initiatives se multiplient. L’entreprise de boisson Postobon propose aux consommateurs d’acheter de l’eau sur Internet pour l’envoyer aux sinistrés. Les grandes compagnies de téléphone ont crédité de 10 000 pesos (3 euros) toutes les lignes de téléphones portables de la municipalité de Mocoa. Des blogs d’information ont surgi, notamment pour faire circuler les listes des enfants qui cherchent leurs parents.

La tragédie aurait-elle pu être évitée ? Les coulées de boue meurtrières sont généralement issues d’une combinaison de facteurs : planification urbaine défaillante, sols fragilisés par la déforestation, précipitations extrêmes. Selon l’Institut d’hydrologie, de météorologie et d’études environnementales de Colombie (Ideam), plus de 500 municipalités sont actuellement confrontées à des risques, 182 d’entre elles étant classées en alerte rouge. Selon l’Ideam, le mois de mars a été le plus pluvieux depuis six ans, des circonstances comparables au Pérou voisin où des pluies diluviennes ont entraîné, dans les deux dernières semaines de mars, des glissements de terrain responsables de près de 80 morts.

« Accumulation d’eaux chaudes »

Au Pérou, les autorités ont attribué cette situation exceptionnelle à un « El Niño côtier », déclinaison locale du phénomène El Niño. Celui-ci, qui intervient tous les trois à sept ans, est en effet réputé accroître les risques de précipitations intenses dans la région. « Cependant, nous ne sommes plus dans des conditions El Niño, corrige le climatologue Eric Guilyardi (CNRS, université de Reading, Royaume-Uni). Le Niño 2015-2016 a culminé voilà plus d’un an et nous sommes revenus à une situation neutre. Mais il est vrai qu’on constate une accumulation d’eaux chaudes le long des côtes de ces pays, qui évoque les manifestations d’un Niño, bien que celui-ci soit absent… »

Une situation très rare, selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le dernier épisode analogue remontant à près d’un siècle, entre février et avril 1925. Ces manifestations locales le long des côtes occidentales de l’Amérique centrale avaient alors précédé de plusieurs mois l’irruption d’un véritable El Niño. Celui-ci va-t-il se développer dans les prochains mois ? « Certains modèles le suggèrent », dit-on à l’OMM.

Au moins 254 morts dans une coulée de boue en Colombie
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