Un membre de la défense civile respire dans un masque à oxygène après l’attaque chimique présumée du 4 avril à Khan Cheikhoun, dans la province d’Idlib. | AMMAR ABDULLAH/REUTERS

Editorial du « Monde ». Il n’y a que les détails physiques qui rendent compte de la cruauté d’une attaque au gaz neurotoxique comme celle qui a eu lieu, mardi 4 avril, au nord-est de la Syrie, dans la ville de Khan Cheikhoun, tenue par les rebelles syriens. Entre 60 et 100 personnes ont été tuées, dont une dizaine d’enfants, selon les chiffres fournis par une ONG locale.

Comme la précédente attaque de ce type, qui avait fait plusieurs centaines de victimes, morts et blessés, dans la banlieue de Damas en août 2013, celle-ci a eu lieu à l’aube. Le gaz, sans doute du sarin, qui peut être tiré avec des obus ou un missile, s’infiltre dans les maisons. Il s’agit de surprendre les gens dans leur sommeil, pour en tuer le plus grand nombre, avant qu’ils n’aient le temps de se protéger. On meurt par suffocation. Les images de mardi montrent des enfants bave aux lèvres, tentant désespérément d’attraper une bouffée d’air – avant de succomber.

Cette fois, c’est un avion syrien qui a largué un ou deux missiles au petit matin sur Khan Cheikhoun, libérant deux nuages sombres. Américains, Britanniques, Français et la plupart des ONG locales ont dénoncé une attaque délibérée du régime. L’ONU a dit qu’elle enquêtait sur un possible « crime de guerre ». Le Conseil de sécurité devait se réunir mercredi. Khan Cheikhoun est contrôlée par des milices rebelles filiales d’Al-Qaida, qui mènent ces jours-ci des opérations dans la région.

Finir « le travail » 

Le régime de Bachar Al-Assad et son allié russe disent que le missile tiré par l’avion syrien a fait exploser un dépôt d’armes chimiques aux mains des rebelles. L’argument cadre mal avec la séquence des événements de mardi. Car, à peine les habitants avaient-ils transporté les survivants et les blessés à l’hôpital de la ville qu’un avion syrien revenait et bombardait l’établissement. Comme pour finir le « travail ».

Cette attaque place les Etats-Unis de Donald Trump dans une position difficile. Ces jours derniers, ils prônaient le réalisme : quoi qu’on en pense, disaient-ils, Bachar Al-Assad est un rempart contre le djihadisme. Mais, mardi, Trump a relevé que « le monde civilisé » ne pouvait ignorer une ignominie comme celle de l’attaque sur Khan Cheikhoun. Sa représentante à l’ONU, Nikki Haley, a qualifié Bachar Al-Assad de « criminel de guerre ».

Les négociations sont au point mort. Américains, de plus en plus passifs, et Russes, menacés d’enlisement en Syrie, se parlent à peine. Après Barack Obama, Donald Trump – mais Vladimir Poutine aussi – est devant cette réalité : le régime syrien et les djihadistes s’auto-entretiennent dans une spirale de sauvagerie criminelle. Ils sont complices dans une barbarie qui rend impossible l’esquisse d’un dialogue intersyrien. Il n’y a que les thuriféraires français d’Al-Assad, ceux qui se font volontiers inviter à Damas, pour ne pas le comprendre.

L’attaque de mardi n’est pas une étape. Elle est la poursuite d’une tragédie sans cesse renouvelée. Sauf action déterminée américano-russe, s’attaquant à la « question Al-Assad » comme au djihadisme, il y aura d’autres épisodes tout aussi atroces.