Manifestation contre Jacob Zuma, à Pretoria, le 3 avril. | GIANLUIGI GUERCIA / AFP

Quand, dans la nuit du 30 au 31 mars, Jacob Zuma annonçait sa décision de purger le gouvernement – près de vingt remplacements, dont celui du ministre des finances, Pravin Gordhan –, le président sud-africain savait qu’il appuyait sur un bouton : celui déclenchant l’ouverture des hostilités avec ses opposants, ses ennemis, au risque de les aider à se liguer contre lui. Un mécanisme s’est mis en mouvement. Des engrenages grincent. Non seulement les ennemis revendiqués de Jacob Zuma se sentent un destin commun, mais leur nombre semble grandir d’heure en heure. La contestation gagne au sein de l’ANC (Congrès national africain) et il règne à présent en Afrique du Sud un microclimat de grand soir où tout se mélange – rage, crainte, excitation, écœurement –, inspiré par l’espoir encore confus de voir chuter le président.

Mardi 4 avril, la Cosatu – la centrale syndicale associée à l’ANC au sein de l’alliance tripartite (avec le Parti communiste) dans l’exercice du pouvoir depuis 1994 – a rejoint le groupe des anti-Zuma. C’est inédit. Son secrétaire général, Bheki Ntshalintshali, estime que le président « n’est plus la personne qui convient pour unifier et mener l’action du gouvernement, l’alliance [tripartite] et le pays », et demande son départ. Les dissidents de la Cosatu, qui sont allés former leur propre centrale, sont sur la même ligne.

Réseau d’alliés

A ce noyau en expansion s’agrègent d’autres personnalités peu habituées à la contestation ouverte. Pravin Gordhan, par exemple. L’homme replet, aux costumes de banquier et au visage de joueur de poker, s’anime depuis qu’il a appris son limogeage en regardant la télévision, et semble pris d’une énergie militante qu’on ne lui connaissait pas. Sur le parvis du Trésor public, où il donnait sa dernière conférence de presse vendredi, il a appelé la population à manifester contre le pouvoir. « Mobilisez-vous ! Mobilisez-vous ! », a-t-il lancé à la foule maigrelette qui s’était assemblée à Pretoria. Compte tenu de l’effectif réduit, ce jour-là, des manifestants, c’était un peu pathétique, mais la mobilisation continue.

L’ANC se fragmente, y compris au sommet du pouvoir. Zweli Mkhize, son trésorier général (qui, à ce titre, a accès à de nombreux secrets et leviers du pouvoir), s’est ouvertement déclaré pour une démission du président, tout comme Gwede Mantashe, le secrétaire général. Quant au Parti communiste d’Afrique du Sud (SACP), il a déjà annoncé sa volonté de soutenir le vice-président, Cyril Ramaphosa, dans la course à la succession de Jacob Zuma.

Ce dernier, néanmoins, est encore loin d’être parti. Il est arrivé à la tête de l’ANC en 2007, et de l’Afrique du Sud en 2009. Depuis, il a traversé de nombreuses situations difficiles, a été impliqué dans une série de scandales et risque d’être confronté à des poursuites lorsque son mandat prendra fin. Mais il lui reste une marge de manœuvre bien plus importante que ne l’imaginent ses ennemis, grisés par la libération du climat contestataire. Au sein de l’ANC, il dispose non seulement d’un réseau d’alliés puissants (Ligue des femmes, Ligue de la jeunesse), mais il tient aussi les organes dirigeants et contrôle sans doute, dans les provinces, les sections locales de l’ANC. Chose dont sont bien incapables ses opposants, bien plus urbains, majoritairement issus de l’élite. Cette situation aurait pu rester en suspens, mais le remaniement, ouvrant la voie à une « transformation radicale » de l’économie promise par Jacob Zuma, a tout changé.

Economie « junk »

L’Afrique du Sud semble donc exposée à des chocs de natures différentes, mais non contradictoires : d’une part une prédation généralisée, et d’autre part un démantèlement des intérêts blancs dans certains secteurs, comme les banques, les exploitations agricoles et les mines. Jusqu’ici, Pravin Gordhan, garant de l’orthodoxie budgétaire, verrouillait le changement. L’homme, qui rassurait les marchés, a été remplacé par Malusi Gigaba, un « Zuma boy » dépourvu d’expérience dans le domaine des finances, mais doté d’une approche programmatique tranchante : mener des « réformes radicales » et « déplaire souverainement ».

L’agence de notation Standard & Poor’s a aussitôt dégradé la note souveraine de l’Afrique du Sud, qui passe en statut « junk » – catégorie spéculative assortie d’une perspective négative. Moody’s pourrait faire de même rapidement. Le rand, la monnaie nationale, a déjà perdu 7 %.

Il reste à Jacob Zuma huit mois à tenir avant la conférence nationale de l’ANC, en décembre, au terme de laquelle il compte reprendre la main sur le parti grâce au vote des sections locales. Avant de poursuivre la purge en cours, dans le parti et ses organes. Le changement pourrait éradiquer tous les anciens, les figures morales de l’ANC, comme ceux qui s’y sont déjà considérablement enrichis mais voient leur accès aux ressources confisqué par une nouvelle vague de fidèles pro-Zuma. Dans l’intervalle, les fractures du parti s’élargissent. Le comité d’éthique de l’ANC veut se pencher sur le cas Zuma pour sévir. Un petit groupe de piliers historiques de la lutte de libération, menés par Cheryl Carolus, s’est déclaré mardi en faveur de la démission du président.

Parallèlement, les partis d’opposition, dont les suffrages cumulés lors des dernières élections locales frôlent les 40 %, ont formé une coalition. Ils appellent à une manifestation contre le président, vendredi 7 avril, dans le centre de Johannesburg. Ce front anti-Zuma reste confiné dans les grandes villes. C’est là sa limite. Ses responsables travaillent donc à un projet différent : une motion de censure au Parlement. Il faudrait que cinquante députés de l’ANC (sur 249, au sein d’une assemblée de 400 députés) votent en sa faveur pour qu’elle triomphe. En cas d’échec, il ne restera plus beaucoup d’espoir aux contestataires.