Des délais d’attente passés de sept mois à près d’un an pour les affaires jugées par les tribunaux de grande instance, des prisons surchargées qui peuvent atteindre jusqu’à 201 % de taux d’occupation comme en Seine-Saint-Denis et près de 100 000 condamnations toujours en attente de leur application. Les conclusions de la commission sénatoriale pluripartisane pour le redressement de la justice, emmenée par le sénateur LR Philippe Bas, rendues mercredi 5 avril, sont sans appel : « La justice va mal. » Elle serait à la fois trop lente, trop complexe et trop peu accessible. Mardi, Jean-René Lecerf, ex-sénateur LR et président d’une autre commission cette fois sur l’avenir des prisons, avait rendu un Livre blanc au garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas.

Les deux commissions, créées respectivement en juin 2016 et janvier 2017, doivent répondre à une situation devenue extrême. Le nombre de personnes incarcérées en France a atteint un niveau record le 1er mars : 69 430 détenus pour seulement 58 644 places.

« Nous sommes, de manière durable, dans une surpopulation hors norme, a confirmé Jean-Jacques Urvoas lors de la remise du Livre blanc. Et il est à craindre que ce chiffre n’atteigne d’ici quelques semaines le record des 70 000 détenus. »

Si certains candidats à l’élection présidentielle comptent y remédier en ouvrant des dizaines de milliers de nouvelles places en prison (40 000 pour Marine Le Pen, autour de 15 000 pour François Fillon et Emmanuel Macron), cette solution n’est envisagée par les deux rapporteurs qu’à condition d’être accompagnée d’autres mesures, dans le cadre d’une loi de programmation de cinq ans.

Dématérialiser certaines procédures

En réalité, la surpopulation carcérale est loin d’être le seul problème. Le manque de magistrats et de greffiers (6 % et 9 % de postes vacants en 2016), allié à un nombre important d’affaires civiles et pénales (près de 4 millions de nouvelles chaque année), et à une complexification des procédures, a rendu la justice bien trop lente.

« Lorsqu’une décision est rendue, il faut parfois attendre trois ans avant qu’elle ne soit appliquée, explique Philippe Bas au Monde. Entre-temps, la personne a pu refaire sa vie, fonder une famille, trouver un travail, et doit tout perdre. Cela n’a plus de sens, ni pour l’opinion publique, ni pour le condamné. »

Cent vingt-sept propositions ont été rédigées par la commission Bas, au terme de neuf mois de travail. Les 500 postes de magistrats et 900 postes de greffiers vacants devront être pourvus sur cinq ans. Les tribunaux d’instance et de grande instance, dont la répartition des rôles est perçue comme complexe, pourraient disparaître au profit d’un tribunal de première instance unique, où toutes les affaires de la vie courante, et notamment les affaires familiales pourraient être jugées. « Une personne pourra ainsi se présenter au lieu de justice le plus proche, sans avoir à se demander si ce tribunal est compétent ou non pour juger son affaire », ajoute encore le sénateur.

L’idée est aussi d’investir dans le numérique et de dématérialiser certaines procédures judiciaires pour plus d’accessibilité. La commission recommande également de passer des 8,5 milliards d’euros alloués à la justice en 2017, à 10,9 milliards en 2022, à raison d’une augmentation de 5 % par an.

Un défi à relever « dans le consensus »

Le projet est ambitieux. Celui mené par Jean-René Lecerf, qui appelle à atteindre d’ici dix ans, 80 % d’encellulement individuel – un principe inscrit dans la loi depuis 1875 mais jamais appliqué – l’est tout autant. Surtout, les deux projets ont vocation à survivre à la prochaine élection présidentielle. C’était d’ailleurs pour cette raison que le garde des sceaux avait décidé de nommer deux sénateurs LR pour présider ces commissions sur l’avenir de la justice. « C’est un défi que nous ne pourrons relever que dans le consensus, a martelé Jean-Jacques Urvoas, mardi. La lutte contre la surpopulation carcérale ne peut être que nationale. »

Le résultat du second tour ne saurait ébranler le travail effectué par la commission sénatoriale, pour Philippe Bas. « La personne élue, quelle qu’elle soit, va hériter de notre rapport. Elle aura à ses côtés un Sénat qui a avancé sur ces réflexions. Le fait qu’il formule des propositions de loi abouties, cela impose politiquement au gouvernement en place de proposer une réponse adéquate. » Reste que ces commissions n’ont pour le moment intégré aucun élu Front national.