S’il s’est fait des ennemis avec la décision de fermer les abattoirs illégaux, Yogi Adityanath (au centre), premier ministre de l’Uttar Pradesh, a contenté ses partisans nationalistes. | Pawan Kumar/Reuters

À quoi reconnaît-on la popularité de Yogi Adityanath, le nouveau dirigeant de l’Uttar Pradesh, État de 200 millions d’habitants ? Au nombre de veaux et de génisses qui lui courent après. Huit jours après la victoire écrasante du parti nationaliste hindou (Bharatiya Janata Party, BJP) dans cet État géant du nord de l’Inde, le prêtre, crâne rasé et vêtu de sa tunique safran, était de passage chez lui, dimanche 26 mars, dans le district de Gorakhpur. Et il a tout naturellement visité un gaushala, refuge pour vaches sacrées accueillant 350 bêtes, comme nos responsables politiques ne manqueraient pas un marché dominical. « Plusieurs veaux ont accouru vers Yogi Adityanath dès son apparition, avant qu’il ne leur donne des morceaux de sucre et de la nourriture », a écrit sur les réseaux sociaux le journaliste Gaurav Sawant, un brin admiratif.

L’amour des vaches, dans un pays où l’animal est considéré comme sacré par de nombreux habitants, est un gage de popularité, surtout auprès des électeurs du BJP. Et quel meilleur défenseur des vaches que Yogi Adityanath, qui vient d’ordonner la fermeture des abattoirs illégaux de l’Uttar Pradesh ? Officiellement, le nouveau dirigeant ne fait qu’appliquer la loi. Mais il faut savoir qu’en Inde, l’illégalité se confond souvent avec la norme, la faute à un nombre pléthorique de règles dont certaines sont parfois si floues et si complexes qu’on ne sait plus très bien si on les respecte ou non. De nombreux abattoirs à la limite de la légalité ont ainsi prospéré, tolérés par des fonctionnaires qui y voyaient l’opportunité d’exiger des pots-de-vin en échange de leur indulgence. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Adityanath, le 18 mars.

Des conséquences économiques dramatiques

Des dizaines d’abattoirs ont alors été fermés car ils ne possédaient pas les autorisations nécessaires ou étaient suspectés de tuer des vaches ou des bœufs – ce qui est interdit, contrairement aux buffles, poulets et chèvres. Les abattoirs légaux sont aussi inspectés de près par les vétérinaires. Le quotidien Hindustan Times révèle que trois d’entre eux, employant 6 000 ouvriers, ont été fermés à cause d’un système de vidéosurveillance défectueux. Les conséquences économiques pourraient être dramatiques pour l’État : l’industrie emploie 250 000 personnes dans la région et y réalise un chiffre d’affaires annuel de 1,6 milliard d’euros, grâce, notamment, aux exportations vers le Moyen-Orient.

Un abattoir illégal de l’Uttar Pradesh fermé par le Bharatiya Janata Party. | Rajesh Kumar Singh / AP

Plus personne n’ose transporter des buffles à l’abattoir par crainte d’être accusé par des milices hindoues de manipuler des vaches et de risquer l’agression. Par ricochet, d’autres industries pourraient mettre la clé sous la porte, comme les tanneries, qui emploient des dizaines de milliers d’ouvriers. C’est aussi une culture gastronomique héritée des moghols qui est menacée de disparaître ; de célèbres restaurants de Lucknow, la capitale de l’État, ne peuvent plus servir leurs spécialités à base de viande de buffle.

Si les abattoirs illégaux posent des problèmes évidents pour la sécurité alimentaire ou l’environnement, avec le non-traitement des eaux usées ou des carcasses, Yogi Adityanath aurait toutefois pu donner un délai supplémentaire à leurs responsables pour se conformer aux normes, comme l’avait demandé un tribunal en mai 2015. Ces descentes dans les abattoirs sont perçues en Inde comme des attaques à peine voilées à l’égard des minorités religieuses. Ces minorités, dont les musulmans – qui représentent 20 % de la population de l’État – et les intouchables, consomment, elles, la viande de bœuf. Et les abattoirs font vivre en majorité des musulmans. Ceux-là mêmes que Yogi Adityanath a appelés à la conversion par « purification » dans les eaux du Gange.

Le nouveau dirigeant de l’Uttar Pradesh est un défenseur de l’hindutva, la doctrine nationaliste qui prône l’assimilation de l’Inde à une nation hindoue. Pendant sa campagne électorale, le BJP avait promis de développer l’Uttar Pradesh, un des États les plus pauvres du pays. Cette première réforme risque pourtant, au nom de l’idéologie nationaliste, de ralentir l’économie et de détruire des emplois.