Long de 80 mètres, le navire d’expédition « Yersin »,  en baie de Monaco. | Michel DAGNINO

« Réconcilier l’humanité et la mer ». C’est une bien grande mission que s’est fixée un tout petit pays en renouant avec les explorations scientifiques maritimes qui firent en leur temps la notoriété de son prince, Albert Ier de Monaco (1848-1922). Son descendant, Albert deuxième du nom, est déjà un habitué très régulier des rencontres internationales consacrées à la préservation de l’océan mondial. Il a décidé de naviguer à son tour pour défendre ces 71 % de la surface de la planète et de participer – par étapes – à une expédition ambitieuse à la fois scientifique, éducative et médiatique. Celle-ci doit effectuer un tour du monde de trois ans, le long des tropiques, à bord du Yersin, mi-plateforme de recherche itinérante, mi-navire confortable, qui doit quitter le port de Monaco en août 2017.

Mardi 4 avril, le conseil scientifique de l’expédition s’est réuni dans les locaux chargés d’histoire du Musée océanique de Monaco. Pour sa première étape, l’expédition va reprendre la route de Madère plus de cent ans après Albert Ier. Une façon de mesurer les dommages infligés depuis à l’écosystème marin. L’équipage actuel va ainsi partir sur les traces du phoque moine, le Monachus monachus, une espèce qui a aujourd’hui disparu de l’ouest de la Méditerranée.

Une Plateforme océan et climat

« Tortues, cétacés, requins… sur la mégafaune, sur les coraux profonds, les écosystèmes des monts sous-marins, nous allons avoir de la bonne science, originale, nouvelle », se réjouit cependant la naturaliste Françoise Gaill, membre de ce comité. Naturaliste, elle coordonne par ailleurs la partie scientifique de la Plateforme océan et climat – une alliance fondée par des chercheurs qui a beaucoup contribué à faire comprendre le rôle fondamental de l’océan en tant que régulateur du climat aux participants de la COP21 à Paris, fin 2015.

L’Etat de Monaco s’est depuis investi aux côtés de la plate-forme pour obtenir du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qu’il établisse un rapport spécial sur les interactions entre atmosphère, océan et cryosphère. Lundi 3 avril, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, est par ailleurs venue signer un accord franco-italo-monégasque destiné à relancer l’aire Pelagos, sanctuaire pour les cétacés. Son siège sera désormais abrité par la Principauté.

Compte tenu de son implication, pas étonnant que se retrouvent des figures de l’océanographie (halieutes, spécialistes de l’acidification de l’eau ou du peuple des méduses), dans le comité scientifique de son expédition. Certaines d’entre elles – l’ancien directeur de l’observatoire de Villefranche-sur-Mer, Gabriel Gorsky, notamment – ont déjà participé à une autre aventure scientifico-éducative, celle de la goélette Tara, qui navigue actuellement le long des côtes du Japon.

La circumnavigation qui débutera en août est confiée au Yersin, un vaisseau long de 80 mètres, conçu pour des traversées longues, doté de véhicules téléguidés sous-marins permettant de se rendre dans des zones très reculées. Réalisé dans les chantiers Piriou en Bretagne, le bateau se veut exemplaire dans le choix de ses matériaux – de la silicone plutôt que de la peinture antifouling, de la résine plutôt que du teck –, par sa sobriété en carburant, ses performances dans le filtrage de ses eaux usées, le tri des déchets… « C’est un projet très ancien : il date du goût de l’aventure de mon enfance, résume son armateur, François Fiat. Quant au coût… disons qu’il revient moins cher qu’un yacht de la même taille. »

« L’idée générale est qu’il faut agir vite pour l’océan ! »

Est-ce un effet de la prise de conscience de l’impact des évolutions du climat sur la vie des terriens ? On assiste à un engouement foisonnant pour les explorations marines. Un autre voilier, l’OceanoScientific, doit faire escale à Monaco mi-mai après cent vingt jours de mer en solitaire dans le courant circumpolaire autour de l’Antarctique. A son bord, Yvan Griboval s’est employé à collecter des données atmosphériques et océanographiques retransmises par satellite en continu, sans rejet d’aucune sorte. « C’est vrai que les projets se multiplient, peut-être inspirés par la COP21, note Cécile d’Estais, déléguée générale de l’association philanthropique qui soutient cette initiative. L’idée générale est qu’il faut agir pour l’océan ! »

Pour sa part, l’Union internationale pour la conservation de la nature organise une traversée du 23 avril au 18 mai, à bord du Marion-Dufresne, le navire de ravitaillement des Terres australes françaises. L’objectif est d’étudier l’écosystème du Walters Shoal, un groupe de monts sous-marins en haute mer, au sud de Madagascar. Dans un tout autre registre, un aventurier franco-américain, Benoît Lecomte, cherche actuellement à boucler son budget avant de traverser le Pacifique à la nage, en affichant lui aussi des visées scientifiques.

Au croisement de la protection des ressources océaniques et de l’expérimentation de nouvelles technologies, le catamaran Race-for-Water largue à nouveau les amarres. Il doit quitter le port de Lorient le 9 avril pour un tour du monde de cinq ans. Ce navire suisse autonome avance tantôt poussé par le vent, tantôt grâce à l’énergie solaire ou à l’hydrogène. Il y a même concurrence entre les navires pionniers pour leur mode de propulsion propre : le français Energy-Observer doit, lui, prendre la mer au départ de Saint-Malo le 14 avril, pour six années de navigation.