La substitut du procureur a requis contre les deux prévenus dix mois de prison avec sursis, et contre François-Aubert G. 175 heures de travaux d’intérêt général.

Malgré l’attente interminable et la promiscuité de la salle d’audience, pas une seule fois ils ne se sont adressé la parole. Pas même un regard, alors qu’il y a encore quelques semaines, ils faisaient ensemble la tournée des bars, vociférant des insultes racistes et adressant des saluts nazis. Marc-Henri P., 39 ans, et François-Aubert G., 19 ans, ont été jugés, mercredi 5 avril, par le tribunal correctionnel d’Angers (Maine-et-Loire) pour violence commise en réunion et sur personne dépositaire de l’autorité publique, ainsi que, pour le deuxième, provocation à la haine raciale.

Veste ceintrée, cheveux soignés, pantalon ajusté, les deux hommes ont l’allure des gens bien nés. Face à la barre, ils écoutent le président dérouler les faits tout en veillant à économiser leurs mots lorsqu’ils doivent préciser le récit de la nuit du 21 octobre. Ce soir-là, les « hostilités » débutent chez Marc-Henri P., un bipolaire maniaco-dépressif, décrit par son avocate comme étant d’une « extrême fragilité ». Après « quelques pintes » et plusieurs verres d’absinthe, les deux hommes, déjà « un peu éméchés », poursuivent la soirée au Falstaff, un bar du centre-ville d’Angers, en compagnie d’une dizaine d’amis tous liés au groupuscule d’ultradroite Génération identitaire.

Commence alors, selon l’avocat de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), partie civile dans le procès, « la chasse à l’Arabe et aux nègres ». Vers 23 heures, une première bagarre éclate lorsque l’un d’eux ose un salut nazi suivi d’un « sale juive ! » à une jeune femme, située à l’extérieur du bar. Un « sans-abri maghrébin » tente alors de s’interposer. Un employé du bar affirme lors de son audition avoir vu François-Aubert G. s’en prendre au SDF. « Il y avait tellement de monde dehors qu’il a dû se tromper », se défend celui-ci, tout en reconnaissant avoir pu donner un coup de poing à quelqu’un.

BAC et coup de poing

L’épisode terminé, la bande de copains poursuit la soirée. Vers 2 heures du matin, une deuxième bagarre éclate, cette fois devant une boîte de nuit. Là encore, chants, insultes racistes et saluts nazis. Des témoins ont affirmé avoir entendu Marc-Henri P. crier « sale nègre » alors qu’il s’en prenait à un homme à terre, et François-Aubert G. hurler « à mort les Arabes, à mort les Noirs ».

Un tissu de mensonges, réplique, à la barre, le jeune homme, les mains croisées derrière le dos. Le président insiste : « A deux moments différents, deux personnes différentes expliquent que vous avez eu une attitude raciste. » Mais l’accusé persiste, il n’a rien dit. Quant à son camarade de « beuverie », il n’a gardé, dit-il, « aucun souvenir » du reste de la soirée.

Pas même d’avoir glissé la main dans son manteau pour en sortir une matraque à l’arrivée de la BAC. C’était avant que François-Aubert G. assène un coup de poing à l’un des agents. Les deux hommes, ainsi qu’un troisième – un mineur qui doit comparaître devant un juge pour enfants – sont finalement menottés, et emmenés au poste. Quant au reste de la bande, il s’est évaporé.

Arrivé au commissariat, le plus âgé tente cette fois-ci d’étrangler le garde détenus tout en l’insultant copieusement. « Petite pute, tarlouze, bon à rien… », énumère le président du tribunal. Mais là encore, il a tout oublié. Pas comme François-Aubert G. Lui se souvient de tout et a réponse à tout : « Comme ils n’avaient pas leur brassard, je n’ai pas vu qu’ils étaient de la police. »

« Que de la beuverie ! »

Le respect de l’ordre est pourtant une valeur primordiale pour les identitaires. Lancée en septembre 2012, la branche jeunesse du Bloc identitaire, qui revendique aujourd’hui 2 000 membres en France, se présente comme une « ligne de résistance » face « au raz-de-marée de l’immigration massive » et « à l’uniformisation des peuples et des cultures ».

A en croire des témoignages et plusieurs photos publiées sur les réseaux sociaux, François-Aubert G. connaît bien ce groupe. Sur un cliché pris dans un parc d’Angers, on voit le jeune homme poser à côté du drapeau de Génération identitaire. Sur un autre, on l’aperçoit, de nuit, faire le V de la victoire face à une affiche du groupuscule, entouré de camarades.

Interrogé pendant l’audience sur son appartenance à Génération identitaire, François-Aubert G. se contente de répondre : « J’ai fait deux trois trucs avec les identitaires à un moment donné, des cours de boxe et des maraudes pour les SDF. » Quant à Marc-Henri P., ancien directeur de la communication de la mairie de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), il répond être « plutôt lié au Parti démocrate chrétien ». En revanche, il explique qu’avant de passer la soirée avec son voisin et le reste de la bande, il savait bien qu’ils appartenaient à un groupe identitaire. Le troisième, mineur, a pour sa part reconnu en garde à vue avoir été encarté tout en assurant ne plus l’être depuis peu.

Pour Fabrice Delinde, avocat de François-Aubert G. proche du Front national (FN), cette affaire est une manipulation politique. Elle vise surtout à « attaquer indirectement son père, M. de… », dit-il, tout en veillant à ne pas dévoiler son identité. Absent pendant l’audience, M. G. est président du groupe régional du FN et ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen. Un des frères de François-Aubert G. a été, lui aussi, candidat aux dernières élections cantonales dans le Maine-et-Loire, et secrétaire départemental du FN Jeunesse. Présent au procès, il est venu accompagné par tout un tas de jeunes hommes bien coiffés.

Au moment des plaidoiries, Me Delinde, dépêché des Hauts-de-Seine pour défendre François-Aubert G., n’a pas hésité à fustiger le parti pris de l’enquête. « Ce n’est pas le procès de l’extrême droite mais de l’alcool violent », a-t-il également assuré. Et de rabâcher tel un leitmotiv : « Que de la beuverie ! »

Ralliements à Marine Le Pen

Contacté par Le Monde, le porte-parole du mouvement, Pierre Larti, a assuré que les prévenus n’avaient « jamais été membres de Génération identitaire ». Depuis plusieurs années, le groupe tente de lisser son image. Selon Stéphane François, historien spécialiste de l’ultradroite, « sa stratégie officielle vise à abandonner la violence politique pour l’autodéfense ». Raison pour laquelle il a « la manie d’abandonner ses troupes en rase campagne quand elles traversent le Rubicon », ajoute-t-il.

Aujourd’hui, Génération identitaire privilégie les opérations médiatiques aux ratonnades. Comme en mars 2016, lorsque des dizaines de militants ont bloqué les ponts d’accès à Calais, tout en brandissant des pancartes anti-migrants. A Angers, ville qui vote traditionnellement à droite, le groupe brille sur les réseaux sociaux. Ses membres se photographient en train de coller des autocollants « chassons les islamistes ». On les voit également distribuer des tracts à l’université et organiser des stages d’autodéfense.

Le groupe ne compte pourtant qu’une « vingtaine » de membres, selon Pierre Larti. D’ailleurs, en se promenant dans les rues de la ville, on repère bien plus de stickers « Fillon président ! » que de slogans identitaires. « Ils sont très actifs sur Internet mais sur le terrain, c’est autre chose », fait d’ailleurs remarquer le spécialiste de l’ultradroite.

En revanche, sur le front de la politique, les liens avec le parti de Marine Le Pen se resserrent. Aux dernières élections cantonales, en 2015, soixante membres du Bloc identitaire, dont certains de Génération identitaire, se sont inscrits sur les listes Rassemblement Bleu Marine, rapporte l’historien.

« Kader, pas notre frère »

Ce rapprochement est encouragé par d’anciennes figures telles que Philippe Vardon, passé dans les rangs du FN en 2015. D’autant que le parti frontiste « ne veut pas passer à côté de militants aguerris et spécialistes de la propagande sur Internet », estime Stéphane François.

Si la dédiabolisation du groupuscule semble en marche, l’avocat de la LDH a tenu à rappeler, lors de sa plaidoirie, quelques principes tirés de son manifeste : « Nous sommes la génération de la fracture ethnique, du métissage imposé, on a cessé de croire que Kader pouvait être notre frère. »

La substitut du procureur a pour sa part décrit, avec pudeur, « une ambiance où règne un caractère raciste évident » et requis, peu avant minuit, dix mois de prison avec sursis contre les deux prévenus, et 175 heures de travaux d’intérêt général contre François-Aubert G.. Le jugement a été mis en délibéré au 3 mai.