Une fusée Ariane sur le pas de tir du centre spatial de Kourou, en Guyane, le 15 novembre 2016. | JODY AMIET / AFP

CHRONIQUE. La Guyane est une terre cruelle où le sang et la misère se mêlent aux eaux troubles du Maroni et de l’Oyapok qui encadrent son immense territoire, plus grand département de France et le moins peuplé. Peu de ses habitants ont choisi leur sort. Colonie esclavagiste dès le XVIIsiècle, puis colonie pénale avec l’instauration du bagne sous Napoléon III, elle est aujourd’hui une colonie spatiale.

Quand le général de Gaulle décida de l’implantation d’un centre de tir de fusées, le village de Kourou ne comptait que 660 habitants. La ville en héberge plus de 25 000 aujourd’hui et le centre spatial est de très loin le premier employeur privé de ce bout d’Amazonie. Il fait vivre directement et indirectement près de 9 000 personnes, soit 15 % des emplois et 40 % de la masse salariale totale.

Le site de Kourou, une vitrine exceptionnelle

Les Guyanais se sont soulevés, et ont compris que le symbole le plus médiatique de leur terre si loin de Paris était ce centre spatial. Après une incursion à l’intérieur du périmètre de l’établissement, ils en bloquent toujours les accès. Leur lutte contre le chômage (22 %), la pauvreté et l’insécurité qui gangrènent le pays ressemble à celle de nombreux autres départements et territoires d’outre mer. Mais ils tiennent, eux, une vitrine exceptionnelle. Arianespace, l’opérateur du site est le leader mondial du lancement de satellites avec 50 % du marché. Le seul acteur à savoir lancer avec un niveau de fiabilité exceptionnel tous les types d’engins inhabités dans l’espace. Et pourtant, la société est inquiète et le conflit guyanais qui s’est installé depuis le 20 mars est un souci de plus dans un environnement qui se complique singulièrement.

Le marché de l’espace est étroit et fragile. Il se lance 25 satellites chaque année dans le monde, principalement dans le domaine des télécommunications. Mais de nouveaux concurrents déboulent sur le marché. Le plus dangereux, car soutenu par l’administration et la défense américaine est la société SpaceX fondé par Elon Musk, le propriétaire du constructeur de voitures électriques Tesla. Comme il le fait dans l’automobile, il entend apporter la rupture dans le monde feutré du spatial. Et il casse les prix, proposant ses services 20 % en dessous du prix d’Ariane.

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La fiabilité n’est pas encore au rendez-vous mais elle progresse. Au point de réussir à arracher de bons clients à Ariane, comme la société de télécommunications européenne SES, qui a embarqué une machine dans la dernière fusée de SpaceX et prévoit d’en expédier une autre dans le prochain tir de Kourou qui devait avoir lieu cette semaine.

Mais depuis les événements, déjà trois tirs ont été reportés sur les douze que prévoit Arianespace cette année. La société craint l’hémorragie au moment où la concurrence se raffermit. Les Guyanais le savent pour la plupart, mais utilisent les fusées de Kourou pour envoyer loin leur message aux politiques : Nous ne voulons plus être une simple colonie spatiale perdue dans la forêt amazonienne.