Jérémy Lopez dans « La Règle du jeu », de Jean Renoir, à la Comédie-Française. | CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE. ANDOLFI

En ce mardi 14 mars, Jérémy Lopez, 32 ans, a pour une fois mis un costume de ville. Nommé sociétaire de la Comédie-Française au 1er janvier 2017, comme sa camarade Georgia Scalliet, il apposera sa signature en bas de son contrat dans quelques instants. Pourtant, point de trac. Comme si le plus dur était derrière lui. Le comédien, qui joue actuellement dans La Règle du jeu et La Résistible Ascension d’Arturo Ui, n’était pas destiné au théâtre. « J’ai grandi en banlieue de Lyon, dans un milieu modeste. » Il dit cela avec la sincérité de celui qui a ­longtemps eu le sentiment de ne pas être à sa place. « J’avais un problème avec l’autorité, l’injustice. J’étais ultrasensible, ce que je n’arrivais pas à montrer en société, si ce n’est par la violence physique, verbale. J’ai arrêté l’école en seconde. »

Sur les conseils de sa mère, il s’inscrit à un cours de théâtre. Jérémy Lopez a 20 ans et, la rébellion chevillée au cœur, il manque se faire exclure. Mais il découvre qu’il aime ça, et s’accroche. Admis au conservatoire de Lyon, il enchaîne en 2007 avec l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre. Jean-Pierre Vincent et Alain Françon le repèrent et le recommandent à la Comédie-Française. Mais lui hésite à sauter le pas : « J’avais peur de quitter Lyon. Et puis j’avais une image du Français comme d’un lieu un peu ringard, pas sympathique. » Il faut l’entendre aujourd’hui parler de la maison. Avec tant d’amour et de reconnaissance !

« Populaire et classieux »

Il y est entré en 2010 pour jouer dans Un fil à la patte, de Feydeau, mis en scène par Jérôme Deschamps. Après avoir joué Horace dans L’Ecole des femmes de Molière, il « est » Ernesto dans La Pluie d’été, de Marguerite Duras. Un rôle dans lequel il a séduit Eric Ruf, l’actuel administrateur du Français : « Jérémy est un acteur à la fois populaire et classieux, ce qui est assez rare. Et puis j’adore ces comédiens dont on découvre les talents au fur et à mesure. » Il le choisit pour son Roméo et Juliette. « Roméo est un rôle-titre, mais ce n’est pas un rôle payant. Et Jérémy a réussi haut la main. » L’intéressé, lui, en parle comme d’une véritable « épreuve ». « Eric, en lequel j’ai une confiance aveugle, m’a demandé d’être un perdant. Ce qui m’a plu, bien sûr, mais c’est très dur de jouer 120 fois quelqu’un qui n’est jamais pris au sérieux et qui, quand il pleure, est moqué. J’y ai laissé énormément de plumes. »

Extrait de « Roméo et Juliette »

ROMÉO ET JULIETTE - Extrait 1 - La Comédie-Française au cinéma
Durée : 01:01

Depuis, il est devenu Robert, personnage principal de La Règle du jeu, de Jean Renoir, mis en scène par Christiane Jatahy : « Avec elle, il faut incarner le personnage et non pas “faire” le personnage. Pour moi, c’est ça le travail de l’acteur : faire oublier la frontière entre fiction et réalité, montrer que le théâtre vit, que ça déborde même. » Le jeune homme n’en boude pas pour autant le cinéma. On le verra à partir du 12 avril dans C’est beau la vie quand on y pense, de Gérard Jugnot. Il aime se lâcher sur les plateaux de tournage – certains se souviennent du tandem hilarant qu’il formait avec Laurence Arné dans Filles d’aujourd’hui, minisérie diffusée sur Canal+.

Il reconnaît cependant avoir refusé plusieurs rôles au cinéma. Sa préoccupation, c’est surtout de ne pas perdre ce qu’il appelle son « premier monde », celui d’où il vient et où il retourne en août, quand le Français fait relâche. Il y a même embarqué le sociétaire Stéphane Varupenne, devenu l’un de ses amis : « Jérémy est quelqu’un de très famille, je pense que ça le rassure. Je joue auprès de lui un rôle de grand frère, mais il m’a apporté quelque chose d’inestimable : sa façon d’assumer pleinement qui il est. Sur le plateau, j’ai rarement vu un acteur aussi détendu, prêt à tout, et que rien ne déstabilise. »

« J’adore m’effacer pour le bien d’un spectacle, explique simplement Jérémy Lopez. Ça soulage de l’angoisse que l’on peut avoir. » L’entretien terminé, il croise un groupe de collégiens écoutant leur professeur. « Vous voyez, ça, ça ­m’angoisse encore. C’est l’école, pour moi. L’obligation d’être là, le devoir d’écouter. » Lui a choisi d’être ici.

Extrait de « La Règle du jeu », film de et avec Jean Renoir (1939)

La Regle du jeu
Durée : 15:19

« La Règle du jeu », de Jean Renoir, mise en scène Christiane Jatahy, jusqu’au 15 juin ; et La « Résistible Ascension d’Arturo Ui », de Bertolt Brecht, mise en scène Katharina Thalbach, jusqu’au 30 juin. Comédie-­Française, Paris 1er.