Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale américaine, le 15 mars à Washington. | BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

Alors que la Réserve fédérale (Fed) a amorcé la remontée de ses taux directeurs, elle commence à préparer les marchés à la prochaine phase du retrait de ses soutiens à l’économie. Mercredi 5 avril, la publication du compte-rendu (les « minutes ») de sa réunion des 14 et 15 mars a en effet dévoilé que l’institution songe à réduire la masse des actifs financiers qu’elle a acheté pendant la crise. Un tel changement, appelé « réduction de la taille du bilan » par les experts, « serait probablement approprié plus tard cette année », estiment ses membres. Si la Fed ne précise pas de date, elle juge en revanche que l’économie américaine est suffisamment solide pour supporter la fin de ce soutien monétaire.

« Technique, la réduction du bilan est une étape cruciale et très délicate », explique Christophe Boucher, économiste à Paris-X-Nanterre. Pour le comprendre, un petit retour en arrière s’impose. En 2007, pour faire face à la crise financière, la Fed a commencé à baisser ses taux directeurs, les ramenant de 5,25 % à près de 0 %. En 2010, elle s’est ensuite lancée dans l’assouplissement quantitatif (le quantitative easing en anglais, ou QE). Ce programme a consisté en des rachats massifs de titres adossés à des créances immobilières (MBS) et de bons du Trésor américain, au rythme de 85 milliards de dollars (79,8 milliards d’euros) par mois. Résultat : le bilan de l’institution a gonflé de 800 milliards de dollars avant la crise à plus de 4 500 milliards en 2014 – l’équivalent de 22 % du produit intérieur brut (PIB). Du jamais-vu.

Grâce au QE, la Fed a donné un peu d’air au secteur immobilier, évité la déflation et soutenu la reprise américaine. Fin 2014, jugeant en avoir fait assez, elle a cessé de gonfler son bilan. Mais cela ne signifie pas qu’elle a commencé à le réduire : depuis, elle rachète systématiquement les titres arrivant à échéance, afin que le montant de 4 500 milliards de dollars reste constant.

Cesser de racheter les titres arrivant à échéance

Plusieurs membres de la Fed estiment désormais que l’économie américaine, au plein-emploi, est suffisamment solide pour supporter une réduction progressive du bilan. « Elle ne se prononce pas encore sur la méthode », remarque Véronique Riches-Flores, économiste chez RF Research, dans une note sur le sujet. Le plus simple serait de cesser de racheter les titres et bons arrivant à échéance. L’autre option est de les revendre sur les marchés sans attendre, afin d’accélérer le mouvement. Cela lui permettrait de reconstituer ses marges de manœuvre – et d’être en mesure de pouvoir réaugmenter la taille de son bilan quand surviendra la prochaine crise.

Plus simple à dire qu’à faire, car voilà : en revendant ses titres, la Fed en fera automatiquement baisser la valeur. Cela équivaut à un resserrement des conditions monétaires, qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le secteur immobilier, comme sur tous les fonds d’investissement, fonds de pension et banques qui détiennent aussi des bons du trésor. Sans parler des effets secondaires sur les pays émergents. En 2013, la seule évocation de la fin du QE à venir avait ainsi déclenché une tempête sur les Bourses des pays émergents. Anticipant des rendements plus élevés aux Etats-Unis, les capitaux s’étaient massivement rapatriés vers cette économie…

La Fed devra donc se montrer très prudente. Ses membres en sont d’ailleurs conscients. Ils estiment en effet que ce changement de cap « devrait faire l’objet d’une communication très en amont de sa mise en œuvre effective », lit-on dans les minutes. En outre, il n’est pas exclu que cette manœuvre s’accompagne d’une pause de la remontée des taux.

Selon les économistes, l’institution devrait, cette année, relever encore deux ou trois fois ses taux directeurs, évoluant actuellement dans une fourchette de 0,75 % et 1 %. « La réduction du bilan pourrait donc être annoncée lors de la prochaine réunion de décembre », estime Paul Ashworth, chez Capital Economics, dans une note sur le sujet. Selon les économistes de Morgan Stanley, la diminution du bilan sous la barre des 4 000 milliards d’ici la fin 2019 aurait le même effet qu’une hausse des taux de 0,50 %.