Antonin Malchiodi

Un ancien maire de Denver, dans le Colorado, avait eu une formule percutante, à l’aube du nouveau millénaire. « Le XIXe fut le siècle des empires, le XXe celui des Etats-nations, le XXIe siècle sera celui des villes », avait lancé Wellington Webb, alors président de la Conférence américaine des maires. Les global cities, chères à la sociologue Saskia Sassen, rayonnaient déjà dans la mondialisation : elles aimantaient les talents, les innovations, les richesses, et dessinaient en filigrane une nouvelle géographie de la puissance. Constituées en réseaux, elles tissaient des liens entre elles, comme pour s’émanciper des Etats.

Wellington Webb ne s’y est pas trompé : la tendance s’est encore accélérée ces deux dernières décennies. Portées à la fois par une puissante dynamique démographique – en Asie comme en Afrique – et par une vague sans précédent de nouvelles technologies urbaines, les grandes métropoles sont devenues le cœur battant du monde. Elles sont les acteurs de mutations profondes qui transforment le transport, l’habitat, l’énergie, les services : pas un champ de notre quotidien d’urbain n’y échappe désormais.

Changer la gouvernance

Dans nos démocraties occidentales, cette « grande transformation » urbaine s’est doublée d’une interrogation angoissée : les villes parviendront-elles à enrayer la violente crise de défiance politique et civique qui mine chaque jour davantage nos vieilles nations fatiguées ? Peuvent-elles être le lieu d’un renouveau civique, après avoir inventé et incarné les premières la démocratie ?

En France, où
la « monarchie municipale » et le goût du pouvoir vertical ont pourtant la vie dure, 70 % des maires ont fait de la participation citoyenne un enjeu majeur de leur mandat.

Les villes ont de nombreux atouts : leurs édiles sont les moins discrédités de tous les élus de la République, ils bénéficient même souvent d’une cote d’estime très supérieure à la moyenne. Hommes ou femmes de la proximité, ils incarnent une autorité publique authentique et une capacité concrète de décision dans les domaines les plus sensibles du quotidien. Mieux : la gouvernance des villes change enfin. Depuis la naissance des budgets participatifs à Porto Alegre, au Brésil, il y a trente ans, l’idée a fait du chemin : plus d’un millier d’expérimentations se sont développées à travers le monde. Des mouvements citoyens ont même réussi à s’emparer du pouvoir et inaugurent des formes nouvelles de gouvernance, comme à Barcelone.

En France, où la « monarchie municipale » et le goût du pouvoir vertical ont pourtant la vie dure, 70 % des maires ont fait de la participation citoyenne un enjeu majeur de leur mandat. « Les municipalités sont devenues les lieux de l’innovation sociale et politique », constate le sociologue Loïc Blondiaux. Les élus disposent désormais d’un « catalogue de techniques et d’outils assez complet, qui va des discussions de groupes jusqu’aux plates-formes de contributions en ligne et aux budgets participatifs, efficaces quand ils font l’objet d’un vrai travail de concertation et de restitution ». Car il ne suffit pas d’inscrire la participation citoyenne dans un programme : elle nécessite une réelle volonté politique et l’engagement dans un processus parfois long et exigeant.

Démarche exemplaire

L’une des expérimentations les plus spectaculaires ces derniers mois s’est tenue à Hambourg, deuxième ville d’Allemagne avec 1,7 million d’habitants. Pour accueillir en un temps record quelque 50 000 migrants, s’assurer de l’acceptation de la population, favoriser leur intégration et éviter les ghettos, le bourgmestre (social-démocrate, SPD) a piloté une « consultation-participation » inédite à cette échelle et préparée par le laboratoire de la ville de l’université HafenCity.

A l’aide d’une plate-forme numérisant la ville et ses quartiers, les citoyens, organisés en groupes de travail, ont identifié eux-mêmes la localisation future des centres destinés aux nouveaux résidents, terrains et habitations disponibles, lieux à réhabiliter… Chacun des districts a dû prendre sa part, à charge égale avec les autres et selon des modalités définies collectivement. Cette démarche exemplaire devrait faire école. « Historiquement, la ville, c’est la capacité à faire se côtoyer la diversité dans le grand nombre », rappelle Thierry Pech, directeur général du think tank Terra Nova.

Prix européens et mondiaux

Pour interroger cette mutation politique et sociale, Le Monde organise une journée d’échanges ouverte au public à Lyon, le vendredi 7 avril, de 10 heures à 17 heures, dans les locaux de l’hôtel de ville. Le Monde décernera à cette occasion ses Prix de l’innovation Le Monde-Smart ­Cities, qui récompensent pour la deuxième année les projets les plus novateurs en Europe, dans les domaines de la participation citoyenne, de l’habitat, de l’énergie, de la mobilité, des technologies urbaines et de l’action culturelle. Le 2 juin, à Singapour, Le Monde remettra les Prix mondiaux de l’innovation Le Monde-Smart Cities et organisera une autre journée d’échanges, en partenariat avec l’Atelier BNP Paribas, ­Engie, la Caisse des dépôts, Saint-Gobain, Keolis, Veolia et Enedis. La ville durable de demain s’inventera dans la confrontation intelligente de toutes les parties prenantes.