L’ambassadrice américaine Nikki Haley montre des photos d’enfants victimes du bombardement à la tribune des Nations unies, le 5 avril. | SHANNON STAPLETON / REUTERS

Qualifié de « ligne rouge » par l’ancien président américain, Barack Obama, le recours à des attaques chimiques contre la population a été avéré à plusieurs reprises depuis le début de la guerre en Syrie. La communauté internationale accuse le régime de Bachar Al-Assad d’avoir à nouveau utilisé ces armes chimiques, mardi 4 avril, à Khan Cheikhoun, une ville dans le nord-ouest du pays. En attendant les résultats officiels des analyses en cours sur les victimes des bombardements, Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, fait le point sur l’usage et les conséquences de ces armes chimiques.

L’attaque chimique contre Khan Cheikhoun a ravivé le souvenir du bombardement de la Ghouta, dans la banlieue de Damas, en août 2013. Que sait-on de l’utilisation d’armes chimiques en Syrie depuis cette date ?

Depuis la meurtrière attaque de la Ghouta, on a vu se multiplier des attaques qu’on peut qualifier de chimiques. Des enquêtes confiées à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) ont permis d’établir avec certitude qu’à quatre reprises au moins, l’armée syrienne a procédé à des attaques avec des bidons de chlore cerclés d’explosifs. Une attaque au gaz moutarde perpétrée par un groupe rebelle est également avérée. Une quinzaine d’autres attaques probables mais non certaines sont également répertoriées.

Après l’attaque de la Ghouta, Bachar Al-Assad avait accepté de ratifier la convention internationale interdisant le stockage et l’utilisation d’armes chimiques. Quels contrôles ont été effectués pour vérifier l’application de cet engagement ?

La Convention sur l’interdiction des armes chimiques prévoit un certain nombre de mécanismes, d’inspections et de contrôles auxquels le régime de Damas a été contraint de se plier. Pendant tout le processus, de fin 2013 à début 2016, des inspecteurs de l’OIAC et un certain nombre d’experts se sont rendus sur le terrain pour veiller au bon déroulement du démantèlement de l’arsenal d’armes chimiques et des substances entrant dans leur composition. Toutefois, ce démantèlement achevé, il était impossible d’avoir la certitude qu’aucun stock résiduel de produits toxiques n’avait été dissimulé. Cela pourrait être le cas s’il était avéré que le neurotoxique utilisé à Khan Cheikhoun provenait de stocks syriens résiduels.

En raison du grand nombre de victimes lors de l’attaque de mardi, l’utilisation de gaz sarin, imputée au régime de Damas, est suspectée. Quels sont les symptômes lors d’une attaque de ce type ? En quoi se distinguent-ils d’une attaque au chlore ?

Les tableaux cliniques sont complètement différents. Et les symptômes décrits après l’attaque de mardi sont tout à fait caractéristiques d’une exposition à un agent neurotoxique de la famille des organophosphorés comme le sarin. Les pupilles contractées, la paralysie musculaire et l’hypersalivation constatées chez les victimes laissent peu de doute sur la très haute toxicité de la substance en cause, aux effets dévastateurs incomparablement supérieurs à ceux du chlore.

La Russie a reconnu que l’armée syrienne était l’auteure de l’attaque, mais a prétendu qu’elle avait visé un entrepôt des rebelles où se trouvaient des substances toxiques. Est-il possible de stocker du chlore ou du gaz sarin ? Quels seraient les effets du bombardement d’un site de stockage ?

Si la situation que nous évoquons n’était pas dramatique, la tentative piteuse de justification de la Russie serait risible. Cette explication avancée par le régime russe est indigne et opérationnellement inepte. D’une part, si un tel stock existait, il serait très improbable qu’il soit sous le contrôle des groupes rebelles. Et d’autre part, compte tenu du nombre élevé de victimes, il est indéniable que nous sommes face à une attaque délibérée. Il s’agit indubitablement d’une attaque perpétrée à l’aide d’une arme chimique et non d’une fuite qui aurait été occasionnée par des dégâts collatéraux. Pour disposer d’une arme chimique, il faut non seulement posséder un agent toxique mais il faut aussi que ce dernier soit couplé à un dispositif de dissémination spécifique (bombes, roquettes, aérosols). C’est le cas ici. Il n’y aurait pas de tels dégâts humains s’il s’agissait d’un entrepôt frappé.

Comment s’effectue dans un pays en guerre comme la Syrie la récupération des échantillons permettant de vérifier l’utilisation d’une arme chimique ? Quels sont les acteurs ou les organismes capables de confirmer quel gaz a été utilisé ?

Des prélèvements biologiques sont effectués directement sur des victimes et des prélèvements physico-chimiques sur leurs vêtements. Le personnel médical peut être amené à le faire, ainsi que toute personne présente à Khan Cheikhoun désireuse d’obtenir des informations sur les produits utilisés, comme des agents de renseignement. Dès que ces échantillons sont prélevés et parviennent aux laboratoires en Europe ou aux Etats-Unis, les analyses apportent des réponses très rapidement.

Si l’utilisation d’un agent plus toxique que le chlore était avéré, quel serait le message envoyé par ceux qui l’utilisent ? Pourquoi utiliser des armes chimiques dans un tel conflit ?

Dans la mesure où cette attaque ne présente aucun intérêt militaire, il est clair qu’elle a pour objectif de terroriser la population. Le régime de Bachar Al-Assad, ainsi que d’autres factions combattant en Syrie, sont passés maîtres dans cet exercice. Les Syriens sont, bien entendu, les premières victimes de cette attaque. Les négociations internationales pour aboutir à la paix, comme celles ayant cours à Genève, en sont probablement la deuxième cible. Avec cette attaque, le régime syrien fait la démonstration à la communauté internationale de son impunité totale. Il montre à ses alliés et à ses adversaires qu’il est opposé à la paix et bien décidé à reconquérir par la force l’intégralité du pays.