Dans « Fiscal Kombat », Jean-Luc Mélenchon doit secouer Nicolas, Emmanuel ou Christine pour gagner de l’argent et financer ses mesures. | DISCORD LES INSOUMIS

Une campagne présidentielle est une bataille où tous les coups sont permis. Vendredi 7 avril, l’équipe de Jean-Luc Mélenchon a sorti son arme secrète : le jeu vidéo Fiscal Kombat, jouable gratuitement sur fiscalkombat.fr.

Inspiré autant par le jeu Mortal Kombat que par Kung Fury, film pop à l’esthétique rétro, Fiscal Kombat met en scène un Jean-Luc Mélenchon de pixels décidé à secouer « les oligarques », de Christine Lagarde à Pierre Gattaz en passant par Jérôme Cahuzac, pour leur faire les poches et financer les mesures de son programme.

A entendre Jean-Luc Mélenchon, qui ne manque pas de rappeler l’existence de Fiscal Kombat dans les médias ou sur sa chaîne YouTube, on pourrait croire que le jeu est un produit dérivé officiel, développé et financé par l’équipe de campagne du candidat de La France Insoumise.

Fiscal Kombat est pourtant né loin du QG de campagne de Jean-Luc Mélenchon, sur le serveur Discord « Les Insoumis », salle de chat en ligne où se retrouvent, depuis décembre et de façon informelle, des sympathisants du candidat.

Financer (virtuellement) le programme

« Au départ, on n’était que quelques dizaines. On s’est rencontrés sur le forum 18-25 de Jeuxvideo.com : c’est là qu’est née l’idée du serveur Discord », se souvient Miidnight, co-administrateur du serveur et coordinateur du projet Fiscal Kombat. « Même si depuis ce n’est plus du tout l’esprit », tient-il à préciser, comme pour marquer la distance avec le sulfureux forum, où se côtoient, pêle-mêle, militants de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen, discussions sérieuses et purs trolls.

L’idée de Fiscal Kombat voit le jour une ou deux semaines plus tard. Projet au départ totalement amateur porté par deux personnes, le jeu se professionnalise au fur et à mesure que le Discord gagne en popularité. Au final, « onze ou douze » personnes ont travaillé sur le jeu, dans leur majorité amateurs, souvent étudiants.

« Quand quelqu’un veut nous aider et a des compétences, on essaye de l’intégrer dans le projet : c’est comme ça que le Discord fonctionne, c’est très collaboratif. »

Discord, une plate-forme de chat très utilisé par les sympathisants de La France Insoumise, mais aussi d’autres mouvements comme le Front National, pour se coordonner. | Discord Les Insoumis

C’est ainsi qu’est né ce titre gratuit, proche, dans ses mécaniques, des jeux de combat, mais où l’on ne tape personne (« On secoue gentiment », précise Miidnight). Sa grande idée, c’est sa dimension participative et pédagogique : les scores de tous les joueurs s’additionnent, remplissant peu à peu une cagnotte. Palier après palier, les joueurs financent ainsi (virtuellement) les différentes mesures du candidat. Miidnight se félicite :

« Tout le monde peut s’amuser, le jeu est facile à prendre en main. Mais il y a un message politique quand même dans le jeu, ça parle des mesures du programme, de transition énergétique… S’il y en a que ça intéresse tant mieux, et sinon tant pis, ça amusera ceux qui sont déjà convaincus ! »

Au passage sont égratignées certaines des têtes de turc du candidat de La France Insoumise : Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, Patrick Balkany… Une manque toutefois à l’appel : Marine Le Pen, autre figure populaire du forum 18-25 de Jeuxvideo.com. « C’est un peu une blague, explique Miidnight. On est une équipe très restreinte, et comme Marine Le Pen ne représente pas [l’oligarchie], moi, je ne voulais pas trop la mettre. On en a parlé à notre graphiste, qui a dit que de toute façon il refusait de la dessiner ! »

Pas des militants traditionnels

Mais le Discord des soutiens de Jean-Luc Mélenchon ne se limite pas au développement de Fiscal Kombat. De quelques dizaines d’utilisateurs il y a quatre mois, ils seraient désormais près de 10 000 à passer au moins une fois par semaine sur le serveur des « Insoumis ».

La plupart est là pour discuter ou relayer la communication du candidat et de ses soutiens, mais un noyau de « 100 ou 200 personnes actives » a aussi donné vie à d’autres initiatives : les sites laec.fr (une version interactive du programme du candidat) et melenchonouimais.fr, l’hébergeur d’images melenshack.fr, la plate-forme d’appel Mélenphone, ou encore une radio, tous imaginés et développés par des bénévoles.

Jean-Luc Mélenchon s’essayant à « Fiscal Kombat » dans une de ses vidéos YouTube. | Youtube / Jean-Luc Mélenchon

Car si ses administrateurs se félicitent d’être parfois relayés par Jean-Luc Mélenchon lui-même, le serveur Discord n’en demeure pas moins une entité indépendante, animée uniquement par des sympathisants. Est-ce que des membres de l’équipe de Mélenchon garde un œil sur l’initiative ? « Sans doute, reconnaît Miidnight, le Discord est ouvert à tous ! ». Pour autant, pour lui, le staff de Mélenchon n’a jamais eu droit de regard sur ces projets.

La majorité des utilisateurs ne seraient de toute façon pas des militants traditionnels. « Le profil type, c’est très largement des sympathisants, mais rarement des militants qui font du porte à porte. La plupart n’était même pas forcément politisée avant ».

Longtemps, l’initiative est d’ailleurs demeurée invisible aux yeux du staff de Mélenchon, jusqu’au meeting « hologramme » du 5 février. « J’étais présent sur place, on a pu parler des problèmes de droit qui se posaient pour notre site, laec.fr [où apparaissent des extraits du livre-programme de Jean-Luc Mélenchon, L’avenir en commun]… C’est à ce moment-là qu’ils ont pris conscience qu’on existait ».

Deux mois après, Jean-Luc Mélenchon et son équipe ont assimilé l’existence de cette cellule très active de militants jeunes, motivés, et bien au courant de l’usage des nouvelles technologies. Dans sa vidéo du 6 avril, le candidat a rappelé qu’il n’y avait « aucune consigne » de sa part et qu’il se félicitait au contraire de ce « concept ascendant » et des initiatives qui viennent « de la base ». « Si je suis élu, ce sera aussi grâce au Discord Les Insoumis », a-t-il même lâché. Sans doute le plus beau des éloges pour ses militants en ligne.