Si les Américains sont de plus en plus polarisés politiquement, la faute n’en incombe pas – ou en tout cas pas entièrement – aux réseaux sociaux. C’est la principale conclusion d’une étude menée par trois chercheurs des universités de Brown (Rhode Island) et de Stanford (Californie), repérée par Slate, qui se sont penchés sur l’évolution de la radicalité politique dans le pays depuis le milieu des années 1990.

Outre-Atlantique, en effet, le fossé séparant démocrates et républicains n’a cessé de croître, et la tolérance des citoyens pour les militants d’un autre parti que le leur de diminuer. Dans les années 1960, 5 % des Américains affirmaient qu’ils seraient mécontents si l’un de leurs enfants épousait quelqu’un qui ne votait pas comme eux. Cinquante ans plus tard, ce chiffre monte à 50 % chez les républicains et à 30 % chez les démocrates. Résultat : deux « pôles » se font face, se comprennent de moins en moins, et s’enferment dans leurs convictions.

A quel point cette évolution est-elle liée à l’arrivée d’Internet, et plus particulièrement des réseaux sociaux, régulièrement accusés de nuire au débat ? Pour déterminer un éventuel effet, les chercheurs ont utilisé neuf méthodes utilisées en sciences sociales aux Etats-Unis pour calculer le degré de radicalisation politique d’une personne ou d’un groupe, et ont scruté de près l’évolution dans le temps de cette tendance par groupe démographique, en utilisant les données de l’American National Election Study, qui mène chaque année de conséquents sondages détaillés.

Or, les chercheurs ont constaté que si la polarisation a sans conteste augmenté aux Etats-Unis, dans toutes les classes d’âge, elle n’augmente pas massivement chez les plus jeunes citoyens. C’est chez les plus de 75 ans, les moins connectés à Internet et aux réseaux sociaux, qu’elle a le plus augmenté.

Un rôle possible mais non démontré des réseaux sociaux

« Ces conclusions contredisent l’hypothèse qu’Internet ou les réseaux sociaux sont les principales sources de polarisation », écrivent les chercheurs dans leurs conclusions, qui estiment qu’un rôle de ces plates-formes peut exister, mais qu’il n’est aujourd’hui pas démontré.

« Il est possible que les réseaux sociaux augmentent la polarisation chez les plus jeunes, tandis qu’un autre facteur le fait pour les plus âgés. Il est possible que (…) de jeunes adultes polarisés par les réseaux sociaux influencent à leur tour la vision d’autres adultes, ou aient un impact à travers des canaux, comme la sélection des candidats ou le positionnement endogène des médias de masse. Nos calculs, en revanche, démontrent que les explications les plus simplistes liant la croissance de la polarisation à Internet sont faux. »

Ces dernières années, et de manière plus pressante après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, les réseaux sociaux ont été accusés de créer un « enfermement algorithmique », en proposant en priorité à leurs inscrits des contenus similaires à ceux qu’ils apprécient déjà. Un fonctionnement qui fait craindre la création de « bulles de filtres », dans lesquelles les citoyens ne sont que rarement consacrés à des opinions avec lesquelles ils sont en désaccord.

Des effets particulièrement difficiles à quantifier, et qui pourraient n’apparaître clairement qu’avec le temps, notent les chercheurs de Stanford et de Brown.