Au siège de la DGSE, à Paris, en juin 2015. | MARTIN BUREAU / AFP

Le diable est dans les détails. Dans son rapport annuel, publié le 4 avril, la délégation parlementaire au renseignement (DPR) a caché, dans un jargon technico-juridique abscons, une proposition qui ferait entrer de plain-pied la France dans l’ère de la surveillance préventive de masse si elle était mise en pratique.

Pourtant chargée « d’assurer le contrôle parlementaire et l’évaluation de l’action du gouvernement en matière de renseignement », la DPR se fait le porte-parole du monde du renseignement et du pouvoir exécutif. Parmi douze propositions, elle demande que l’on modifie la loi en matière d’interception des données de communications afin que des « listes fournies par les services de renseignement » puissent faire l’objet d’une collecte indiscriminée.

La loi sur le renseignement du 24 juillet 2015, dans son article 851-2, disposait, à l’origine, que les services pouvaient collecter « en temps réel » toutes les données de connexion attachées à une personne sur l’ensemble de ses moyens de communication. Cette surveillance ne pouvait, néanmoins, être effectuée que « sur une personne préalablement identifiée comme présentant une menace ».

Briser un tabou

A la faveur du vote des lois sur les prorogations de l’état d’urgence, votées depuis, le périmètre s’est élargi à deux reprises. On est d’abord passé à « une personne susceptible de pouvoir constituer une menace ». Puis, fin juillet 2016, le législateur a encore étendu le spectre aux entourages des personnes susceptibles de pouvoir constituer une menace, soit les cercles familiaux, amicaux, professionnels ou occasionnels.

Cette fois, la DPR entend donc briser un tabou. La législation française sur le régime d’interception, créé en 1991, repose en effet sur cet axiome de base : toute mesure de surveillance de cette nature ne peut s’appliquer que sur un individu à la fois, et sur la foi de soupçons étayés. C’est un pan entier du droit sur l’individualisation des actes ou des décisions administratives qui, tout d’un coup, s’écroulerait si d’aventure ce souhait était exaucé.

Pour des raisons opérationnelles et pour faciliter leur travail, les services de renseignement rêvent depuis longtemps de placer sous surveillance, en temps réel, des listes entières de noms, dont une grande part des 14 000 personnes suspectées de liens avec l’islam radical recensées dans le fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste, tenu par l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme.

Cette volonté des parlementaires de la DPR de légiférer sur ce point ressemble à un nouveau coup de boutoir – le dernier de la législature. Voilà en réalité plus d’un an que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui donne un avis facultatif sur ces demandes, résiste aux pressions.

Son président, Francis Delon, avait bloqué en janvier 2016 une première tentative de procéder à une collecte « groupée et simplifiée » voulue par Matignon. Le 10 février 2016, devant la commission des lois du Sénat, il répétait : « Nous recevons des demandes qui doivent être individuelles et motivées. » Le 18 mai 2016, face à la commission d’enquête parlementaire sur les moyens de l’Etat contre le terrorisme qui voulait « pêcher large » en matière de surveillance, il rappelait : « La loi dispose expressément que l’individu considéré doit représenter une menace. »