« SAMO » au Théâtre des Cordes-Comédie de Caen, le 23 février. | TRISTAN JEANNE-VALÈS

S’attaquer à la vie et à l’œuvre de Jean-Michel Basquiat (1960-1988) exige une jolie dose de témérité. Ou beaucoup de passion. Ou les deux à la fois. C’est le cas de la metteuse en scène Laëtitia Guédon qui signe avec SAMO un hommage tout personnel au peintre et graffeur qui mit le feu aux murs des rues de New York dès son adolescence.

« Parce que je le considère comme un artiste majeur du XXe siècle, mais aussi parce qu’il me renvoie directement à mon histoire, à mon enfance au début des années 1980, à Aubervilliers, dans la cité de la Maladrerie, où l’art s’activait partout et tout le temps, explique Laëtitia Guédon. Je voyais mon père peindre les murs de la cité. Les rues de New York étaient bien loin de celles de la banlieue parisienne, mais elles avaient pourtant en ­commun une certaine idée de la liberté. »

Nommée directrice de la salle Les Plateaux Sauvages, à Paris, Laëtitia Guédon revient à Aubervilliers, de temps en temps, pour intervenir en milieu scolaire dans le cadre des activités menées par le Théâtre de la Commune. Elle rembobine sa vie et retrouve certaines fres­ques murales, croisées dans sa jeunesse, intactes. « J’ai choisi de m’intéresser à la trace qu’on laisse pour se raconter et raconter le monde, explique-t-elle. J’ai décidé de traiter une période moins connue de la vie de Basquiat, celle de sa jeunesse, de la rue. Dans les années 1980, il sort à peine du lycée, fugue de chez ses parents et part à la conquête des rues de Soho. A cette époque, il signe SAMO [pour  “Same Old Shit”] des messages lapidaires, poétiques et politiques, et se crée une identité d’artiste. »

Un danseur, un acteur, un musicien

Pour plonger dans les couches de cette vie à l’arrache, Laëtitia Guédon fait équipe avec l’écrivain Koffi Kwahulé et le vidéaste Benoît Lahoz. Elle déploie l’histoire de Basquiat entre trois interprètes, le danseur Willy Pierre-Joseph, l’acteur Yohann Pisiou et le musicien- slameur-beat boxer Blade MC Alimbaye.

« Je voulais travailler différemment une œuvre théâtrale, proposer un projet à la frontière d’un travail performatif, explique-t-elle. Nous sommes partis tous ensemble en résidence à la Chartreuse, à Villeneuve-lès-Avignon, pour écrire. Chacun a brassé des vidéos, des interviews, regardé des tableaux, des films sur le peintre et les années 1980. Et puis nous avons dû aussi nous interroger sur notre propre histoire. Nous sommes tous français, mais profondément nourris d’un métissage culturel. Basquiat fut sans cesse renvoyé à sa condition d’homme noir avant son engagement poétique. »

En pistant le jeune peintre, Laëtitia Guédon et son équipe s’aperçoivent qu’il fréquentait des boîtes de nuit, comme le Mudd Club. « Il enflammait les pistes de danse, mais à la suite d’un accident, il était blessé physiquement et psychiquement, poursuit-elle. C’est autour de ces axes que nous avons travaillé avec Willy Pierre-Joseph. C’est un double de Basquiat qui transcende et fait écho à la parole. » Avec ce spectacle, soufflé par la musique de Nicolas Baudino et Blade MC Alimbaye, au croisement du hip-hop et du jazz de Charlie Parker, Laëtitia Guédon ouvre aussi les bras aux habitants d’Aubervilliers. Certains formeront un « chœur urbain » autour de ce héros tragique qui introduira le spectacle.

SAMO, de Laëtitia Guédon. Jusqu’au 14 avril à La Loge, Paris 11e ; le 21 avril au Théâtre Victor-Hugo, à Bagneux (Hauts-de-Seine) ; le 27 avril au Quai des Arts, à Argentan (Orne).