Dimitri Rybolovlev (au centre) en compagnie du prince Albert II de Monaco, en février 2015. | ERIC GAILLARD / REUTERS

Peu de journalistes peuvent se targuer de s’être entretenu avec l’énigmatique Dmitri Rybolovlev. A 50 ans, le propriétaire russe de l’AS Monaco se tient à bonne distance des médias. Journaliste indépendant et auteur de plusieurs biographies, Arnaud Ramsay a consacré à l’ex-magnat de la potasse une enquête fouillée après l’avoir interviewé à plusieurs reprises (Rybolovlev, le roman russe du président de l’AS Monaco, Cherche-Midi, 258 pages, 17 euros). Un livre qui retrace le parcours sulfureux d’un milliardaire méconnu alors que le club de la Principauté se déplace sur la pelouse du Borussia Dortmund, mardi 11 avril, en quarts de finale aller de Ligue des champions.

Ce quart de finale de Ligue des champions face à Dortmund représente-t-il l’heure de vérité pour M. Rybolovlev et son projet initié, en 2011, à l’ASM ?

Sa philosophie, c’est de gagner. C’est un homme d’affaires « sans foi ni loi » habité par la gagne. Il est au carrefour de ses ambitions. Il y a eu un point de chute avec la défaite (4-1, le 1er avril, contre le PSG) en finale de Coupe de la Ligue. Mais la finalité du projet, c’est de gagner des titres. L’heure de vérité sera si l’ASM atteint la finale de la Ligue des champions (comme en 2004). Le projet sera « validé » si l’ASM (en tête de Ligue 1 avec trois points d’avance sur le PSG) devient champion de France. Rybolovlev s’attend davantage à gagner la Ligue 1 que la Ligue des champions. Hormis un titre en Ligue 2 en 2013, l’ASM n’a plus rien gagné depuis 2003. C’est une anomalie au regard de son histoire. Le projet Rybolovlev est en deux étapes : gagner des titres et, à travers des épopées en Ligue des champions (en 2015, l’ASM avait déjà atteint les quarts), montrer qu’il n’y a pas de fatalité à perdre de l’argent quand on achète un club de foot.

Pourquoi Rybolovlev cultive-t-il cette discrétion légendaire ?

Il est, un peu comme son compatriote Roman Abramovitch (propriétaire russe de Chelsea depuis 2003), ce milliardaire parfois pas rasé qui vous reçoit en survêtement sur son yacht. C’est quelqu’un d’assez froid, de discret. Il se protège énormément en ne parlant que russe alors qu’il maîtrise aussi l’anglais et le français. C’est sa personnalité : il a grandi à Perm (près de l’Oural), il est fils unique, a été dans un sanatorium très jeune à cause de soucis de santé. Il a été aussi échaudé par des affaires comme ses onze mois passés en prison (en 1996, après avoir été accusé d’avoir fait assassiner le directeur général de Neftekhimik, société passée sous son contrôle peu après la disparition de l’intéressé) et son divorce retentissant. Il est méconnu en Russie. Aucun joueur de l’ASM ne le connaît.

Il a été une ou deux fois à l’entraînement. Il est l’antithèse de Nasser Al-Khelaïfi (le président du PSG), super VRP du projet qatari, proche des joueurs, et tête de gondole qui est là tout le temps et s’exprime parfaitement en français. Rybolovlev tranche concernant le choix des entraîneurs, certains gros transferts. Il veut être au courant de tout mais n’est pas présent au quotidien.

Dans votre ouvrage, Rybolovlev n’apparaît pas comme un oligarque.

Il a accompagné la transformation de son pays. Rybolovlev a le même âge qu’Abramovitch. Mais lui, même s’il est cynique et opportuniste, se défend d’être un oligarque. Ses amis disent que s’il en était un,  il n’aurait pas fait cette peine de prison de onze mois à vingt dans un cachot après avoir été accusé d’un meurtre d’un concurrent.Contrairement à Abramovitch, qui a été gouverneur (du district autonome de Tchoukotka), Rybolovlev n’a eu aucune volonté d’être proche du pouvoir ni aucune velléité politique. Il y a aussi le fait qu’on l’ait forcé à vendre, en 2010, l’entreprise Uralkali (l’opération lui rapportant 5,3 milliards de dollars) à trois obscurs oligarques, dont Suleyman Kerimov, ex-propriétaire de l’Anzhi Makhatchkala. Rien ne lui a été donné clé en main par Boris Eltsine et son successeur. Il se tient très en retrait de Poutine et ne lui doit rien. Moins il a affaire avec le pouvoir, mieux il se porte. Même s’il a été sans pitié dans les affaires pour devenir milliardaire dans le domaine du potassium.

Il dirige l’ASM par le truchement de ses proches

Son homme-lige, Vadim Vasilyev, est vice-président et dirigeant au quotidien du club. C’est quelqu’un de charmeur, francophile, polyglotte, devenu membre du conseil d’administration de la Ligue de football professionnel (LFP). Rybolovlev choisit ses hommes mais n’avait pas compris, à l’origine, le particularisme du microcosme monégasque. Il a eu tendance à superposer ses affaires. Ryblovlev est méfiant et n’accorde sa confiance, ne délègue qu’à un cercle restreint. Sa fille siège au conseil d’administration de l’ASM comme son avocate, « ses yeux et ses oreilles », Tetiana Bersheda. C’est son mode de fonctionnement, qui porte ses fruits aujourd’hui. Il a aussi modifié son projet après que l’agent portugais Jorge Mendes a piloté les premiers transferts du club. Il a pris en compte le particularisme monégasque, la vétusté du stade Louis-II (capacité d’accueil de 18 000 places). Le principe de réalité s’est imposé.

Aime-t-il vraiment le football ?

Il a un coup de cœur pour les émotions que procurent le foot. Ce n’est pas un ancien footballeur. Certains disaient aussi « Rybolovlev veut le passeport monégasque pour échapper à Poutine ». Il a déjà le passeport chypriote. Il aimerait avoir celui monégasque, mais il n’est là que depuis décembre 2011. A l’époque, l’ASM était 20e de Ligue 2. Aujourd’hui, on voit la transformation. L’ASM n’est donc pas la danseuse de Rybolovlev. Il s’est pris de passion. Il considère que ce n’est pas une fatalité de perdre de l’argent en achetant un club de foot. L’ASM est une équipe qui plaît. Ils ont trouvé un modèle économique. Le projet est légitimé.

Quelles sont les relations entre Rybolovlev et le prince Albert II de Monaco ?

Je pense que le prince Albert n’a pas encore complètement fait son deuil après le rachat du club, même s’il garde une minorité de blocage. Il est le supporteur nº 1 de l’ASM mais se sent encore un peu dépossédé. Il n’a plus la même relation avec les dirigeants et les joueurs.

Le projet Rybolovlev s’inscrit-il sur le long terme ?

Rybolovlev éprouve une satisfaction à être respecté, à avoir un réseau. Les résultats parlent aussi d’eux-mêmes. L’ASM pratique un beau football. Je pense que Ryblovlev va rester un petit moment. Il a aussi fait une offre pour racheter le club belge du Cercle de Bruges, une passerelle pour la formation. Il y a aujourd’hui deux écueils : le fait de durer, et si l’ASM n’a toujours rien gagné dans deux, trois ans. Rybolovlev se nourrit de titres, de défis, et si le PSG est alors toujours champion de France, il éprouvera peut-être une forme de lassitude en se disant : « j’ai fait tout ce que je pouvais et on n’a pas réussi à empêcher le PSG d’être champion, alors à quoi bon. » Aujourd’hui, il n’y a aucune raison valable pour qu’il parte de Monaco.