Ecarts salariaux : « L’argument de la moindre rentabilité du sport féminin est moins vrai »
Ecarts salariaux : « L’argument de la moindre rentabilité du sport féminin est moins vrai »
Par Arthur Laffargue
Vice-présidente du think tank sport et citoyenneté, Marie-Cécile Navès explique pourquoi le sport français aurait tout à gagner à imiter le modèle américain.
Les revenus sont encore loin d’être égaux entre sportifs et sportives américains. Mais en trois jours, deux étapes vers l’égalité salariale entre hommes et femmes ont été franchies aux Etats-Unis. Le 5 avril, les footballeuses (soccer) ont obtenu de leur fédération un accord permettant de doubler leurs salaires, leurs primes et d’augmenter les per diem, les indemnités accordées lors des déplacements avec l’équipe nationale. Des chiffres qui devraient être revus à la hausse en année de compétition majeure que sont la Coupe du monde et les Jeux olympiques.
Le 8 avril, les hockeyeuses ont, quant à elles, obtenu gain de cause auprès leurs instances fédérales. Avec le nouveau contrat signé, fini les déplacements en classe économique. Moins anecdotique, les joueuses recevront un salaire de 70 000 dollars annuel alors qu’elles n’étaient auparavant rémunérées que six mois avant les Jeux olympiques. Les hommes, souvent payés plusieurs millions de dollars par les franchises qui les emploient, dépendent moins des revenus tirés de leurs performances avec l’équipe nationale.
Chercheuse associée à l’Iris et vice-présidente du think tank sport et citoyenneté, Marie-Cécile Navès explique que, si l’égalité des salaires est encore loin d’être atteinte outre-Atlantique, les fédérations sportives françaises feraient bien de s’inspirer de la dynamique enclenchée aux Etats-Unis.
Pourquoi la fédération de soccer a-t-elle cédé aux revendications des joueuses ?
A la fin 2016, il y a eu un assez gros scandale aux Etats-Unis. Plusieurs joueuses de la sélection nationale ont attaqué la fédération de soccer. Elles contestaient les différences de salaires et de primes. Au-delà de la mobilisation des joueuses, des sénateurs démocrates ont pris position sur le sujet ; Barack Obama lui-même s’est exprimé. Il y a aussi eu une mobilisation très importante sur les réseaux sociaux. Ces inégalités ont été le symbole de la discrimination dans le monde du travail. Tout ça n’était pas bon pour l’image de la fédération.
Les instances sportives américaines ont-elles aussi cédé parce que le sport féminin devient « rentable » ?
Il y a un gros débat, y compris en France, pour savoir si les femmes rapportent vraiment moins que les hommes. Aux Etats-Unis, les joueuses de soccer ont tout gagné. Pour la finale de Coupe du monde en 2015, il y avait 25 millions de téléspectateurs sur Fox. Ce qui est un record aux Etats-Unis pour un match de soccer, hommes et femmes confondus.
Et puis la question de la rentabilité pour les marques se pose également. Les femmes partent certes de très loin, mais le marché du sport masculin devient saturé. Il est difficile pour une marque d’attirer des nouveaux joueurs, de trouver une niche. Alors que le sport féminin a un potentiel immense, que ce soit pour les équipementiers ou pour sponsoriser des grandes compétitions. Forcément, la valeur marchande résultant de l’image des joueuses est appelée à changer.
Je fais partie de ceux qui pensent que la lutte contre les discriminations est un moyen de gagner de l’argent, parce que les talents ne sont pas gâchés et leur potentiel économique peut être exploité. Finalement le sport est un domaine professionnel comme un autre. Le fait de rester sur des vieux schémas n’est pas du tout rentable.
On observe donc une tendance vers l’égalité dans le sport américain. En France, cela n’est pas forcément le cas. Comment l’expliquer ?
Aux Etats-Unis, le sport occupe une place qu’il ne possède pas en France, où le sexisme dans ce domaine est encore assez bien toléré. Mais je pense que cela va changer dans les années à venir. D’une part, l’argument de la moindre rentabilité du sport féminin est de moins en moins vrai. De l’autre, le monde du sport s’abrite beaucoup derrière les valeurs d’équité, d’égalité. Il ne peut donc pas y avoir un discours qui utilise des valeurs comme alibi en parallèle de pratiques discriminatoires qui perdurent.
C’est particulièrement le cas dans les clubs, où l’on refuse les filles, où les horaires d’entraînement favorisent les équipes de garçons. On investit très tôt sur les garçons au détriment des filles. En France, l’inégalité dans le sport commence dès l’enfance, et ce n’est pas juste une question de rentabilité, de droits de retransmission et de sponsoring.