« Il sera impossible de remettre des cabanons à la place de ceux qui restaient auparavant », a annoncé, mardi 11 avril, le préfet du Nord, Michel Lalande, qui précise que « ceux qui ont mis le feu s’y sont pris à maintes reprises ». | PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

La quasi-totalité du camp de la Linière, à Grande-Synthe (Nord), n’est plus que cendres, ravagée par un incendie dans la nuit de lundi 10 à mardi 11 avril. Environ quinze cents migrants, principalement des Kurdes irakiens, y vivaient dans trois cents cabanons en bois. Le feu s’est déclaré après une rixe entre Afghans et Kurdes lundi après-midi et a détruit le camp à 80 %.

« Il sera impossible de remettre des cabanons à la place de ceux qui restaient auparavant », a annoncé le préfet du Nord, Michel Lalande, qui précise que « ceux qui ont mis le feu s’y sont pris à maintes reprises ». Les migrants ont été évacués et seront relogés dans des hébergements d’urgence et dans deux gymnases mis à disposition par la ville. Le maire, Damien Carême (Europe écologie-Les Verts), demande, lui, « une solution pour les réfugiés ».

Ouvert il y a un peu plus d’un an, en mars 2016, le camp de Grande-Synthe, qui n’avait pas vocation à être pérenne, aura eu une courte existence.

  • L’appel du maire à MSF

Afin de faire face à l’urgence du camp de Basroch, rebaptisé par les associations le « camp de la honte », et qui a vu sa population passer en quelques mois de quatre-vingts à deux mille neuf cents personnes au début de décembre 2015, M. Carême fait appel à l’ONG Médecins sans frontières (MSF). « La situation empirait, l’hiver arrivait, j’ai pris les devants », explique l’élu, après avoir alerté les services de l’Etat pour des renforts policiers, mais également pour financer des douches.

Damien Carême retient le site de la Linière. MSF et la mairie programment une conférence de presse pour annoncer le projet, le 23 décembre 2015, jour où le maire de Grande-Synthe est finalement reçu par le ministre de l’intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, aujourd’hui premier ministre. L’Etat ne bloque pas l’ouverture du camp humanitaire. Damien Carême s’engage à détruire les abris au fur et à mesure des départs.

  • L’ouverture officielle

Le 7 mars 2016, et pour la première fois, MSF ouvre en France un camp pour migrants, qu’elle gère avec la ville et des bénévoles d’associations humanitaires, pour un investissement initial de trois millions d’euros. Après des mois de survie sous des tentes, dans la boue, environ quinze cents exilés en transit à Grande-Synthe rejoignent un lieu de vie répondant aux normes internationales. Il est composé d’environ trois cents chalets en bois, dortoirs, blocs sanitaires, et réfectoires, disposés le long de l’autoroute A16, à la sortie de Dunkerque.

« Le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies a édicté des normes internationales minimales pour les camps, où qu’ils soient dans le monde. Cela signifie une mise à disposition suffisante de robinets d’eau potable, de latrines, de douches. Nous y avons prévu aussi des coins laverie et séchage de vêtements, précise l’organisation non gouvernementale. Nous avons montré par l’action qu’il est possible de bâtir un camp pour moins de quatre millions d’euros, quand celui que l’Etat a construit à Calais, avec des conteneurs, a coûté autour de vingt millions. »

Au moment de l’ouverture de Grande-Synthe, le préfet menace de refuser l’autorisation en raison des risques liés à l’incendie et à la proximité de l’autoroute. A l’issue d’un bras de fer avec le maire, le préfet autorise l’ouverture, après avoir obtenu des aménagements.

  • L’Etat apporte son financement

Les ministres de l’intérieur et du logement, Bernard Cazeneuve et Emmanuelle Cosse, signent à l’hôtel de ville de Grande-Synthe une convention tripartite entre l’Etat, la municipalité et l’Association nordiste luttant contre l’exclusion (Afeji) portant sur la gestion du camp.

Damien Carême avait dit, à la mi-avril, que l’Etat financerait le fonctionnement du camp, pour un montant estimé à quatre millions d’euros par an.

L’Etat vise une fermeture progressive du camp.

  • Le contrecoup du démantèlement de la « jungle » de Calais

Lors d’un dernier recensement, en janvier, environ douze cents migrants — pour l’essentiel des Kurdes d’Irak — sont comptabilisés, dont quatre-vingt-dix femmes et cent quarante enfants. Presque autant qu’à l’ouverture, en mars 2016.

Entre-temps, leur nombre était descendu à sept cents, avant de bondir avec le démantèlement de la « jungle » de Calais, située à une quarantaine de kilomètres plus à l’ouest : trois cents migrants ont afflué à Grande-Synthe en octobre-novembre 2016 ; ils sont deux cent cinquante de plus depuis la fin de 2016.

  • Insalubrité et insécurité, les conditions de vie se dégradent

Les chalets n’ont pas été pensés pour être exposés aussi longtemps à la pluie et au vent. Les « extensions », qui ont été faites par certaines familles, ne répondent pas aux normes de sécurité. Surutilisés, les locaux communs, comme les sanitaires ou les douches, se sont dégradés. Le 23 janvier, un exercice incendie important a lieu au camp, preuve de l’inquiétude des pompiers.

« La surpopulation comme la vétusté des cabanons font que ce camp qui était aux normes internationales à son ouverture ne l’est plus vraiment aujourd’hui », regrette Amin Trouvé Baghdouche, le coordinateur général de Médecins du monde pour le littoral Nord-Pas-de-Calais, interrogé par Le Monde à la mi-février.

« Ce n’est plus digne. Entre la photographie du camp il y a un an et celle d’aujourd’hui, il y a eu une évolution qui n’est pas agréable d’un point de vue matériel », confie, en mars, Franck Spicht, membre de l’Afeji, l’association chargée du campement depuis la fin de mai 2016.

Plusieurs incidents marquent la vie du camp, où les passeurs sont nombreux. « Il y a des choses inacceptables qui se passent dans ce camp, […] car malheureusement des réseaux mafieux veulent faire de l’argent sur la misère humaine. C’est une bataille de tous les jours dont s’occupent les services de justice et de police », reconnaît, à la mi-mars, Emmanuelle Cosse.

Le 6 avril, des migrants tentent de bloquer l’autoroute en jetant des troncs d’arbre afin d’obliger les voitures et camions à s’arrêter pour qu’ils puissent monter à bord dans l’espoir d’un hypothétique passage au Royaume-Uni.

  • Le gouvernement préconise le démantèlement

A la mi-mars, le ministre de l’intérieur en poste, Bruno Leroux (il a démissionné depuis), préconise le démantèlement du camp de la Linière, auquel Damien Carême s’oppose. « La question n’est plus seulement aujourd’hui celle du rétablissement de l’ordre public », mais aussi « du démantèlement progressif du camp, estime le ministre lors d’une audition devant une commission du Sénat. On ne peut plus laisser les choses continuer comme cela. » « Je ne suis pas d’accord, lui rétorque le maire de Grande-Synthe. Ce camp est aujourd’hui plus que nécessaire. Car si on en est là aujourd’hui, c’est parce que la réponse humanitaire n’était pas suffisante. »

Cette annonce survient alors que le préfet du Nord, Michel Lalande, doit signer la prolongation pour six mois de la convention tripartite entre l’Etat, la ville de Grande-Synthe et l’Afeji.

Le 17 mars, Emmanuelle Cosse annonce que l’Etat renouvelle son partenariat avec la ville de Grande-Synthe pour la gestion du camp de la Linière. La convention est prolongée jusqu’au 31 août.