Marche à l’initiative du mouvement "Ni Una Menos" (créé en 2015 pour lutter contre les violences sexistes), à Buenos Aires, le 3 juin 2016. | EITAN ABRAMOVICH / AFP

En Argentine, un nouveau « féminicide » – mot qui désigne l’assassinat de femmes pour le simple fait d’être femmes –, commis par un violeur en série laissé en liberté par un juge, provoque mobilisation et colère. Ironie du sort : Micaela Garcia, 21 ans, militait au sein du collectif Ni una menos (« pas une [femme] de moins »), créé en 2015 pour lutter contre les violences sexistes.

Sebastian Wagner, 30 ans, le principal suspect du viol et de l’assassinat de Micaela, avait été condamné pour viols à neuf ans de prison en 2012. Mais, en juillet 2016, le juge Carlos Rossi lui avait accordé la liberté provisionnelle, bien que le service pénitentiaire et le procureur l’aient déconseillé. Neuf mois plus tard, le violeur aurait donc récidivé.

Le cadavre de Micaela Garcia a été retrouvé, samedi 1er avril, dans les environs de Gualeguay, dans la province d’Entre Rios (230 km au nord de Buenos Aires), après sept jours de recherche. La jeune femme étudiait pour devenir professeure d’éducation physique et militait également au sein du mouvement Evita, une organisation de jeunes partisans kirchnéristes. Vendredi 31 mars, elle était sortie danser avec un groupe d’amis. Samedi à l’aube, elle avait envoyé un message à son fiancé disant qu’elle rentrait chez elle. Mais elle n’a jamais réapparu.

Faute de statistiques officielles, ce sont des ONG qui recensent les assassinats de femmes en Argentine : 322 en 2016, soit une femme tuée toutes les trente heures. Une tragique réalité qui justifie que le terme « féminicide » soit inscrit, depuis 2012, dans la Constitution.

« Assez des verdicts machistes ! »

En 2010, Sebastian Wagner avait attaqué et violé deux jeunes filles à quatre mois d’intervalle dans la province d’Entre Rios. Il avait été reconnu coupable dans les deux cas. Accusé d’un troisième viol, il avait été relaxé, au bénéfice du doute, car il avait désigné comme coupable son propre frère jumeau, Maximiliano Wagner. « Je ne peux pas croire qu’il ait été remis en liberté. Il ne doit plus jamais sortir de prison », a déclaré ce dernier, précisant ne pas avoir de contact depuis « au moins trois ans » avec Sebastian. Marié et père d’un petit garçon, Maximiliano, qui vit en Uruguay, a confirmé que c’est sa mère qui l’a livré à la police.

Le fait que la mort de Micaela aurait pu être évitée, si le violeur avait été maintenu en détention, a provoqué une vague d’indignation dans tout le pays : de nombreuses marches spontanées ont réuni des milliers de personnes au cours du week-end, dans plusieurs villes argentines, des milliers de messages ont inondé les réseaux sociaux tandis qu’une pétition circule contre le juge Rossi.

« Nous ne pouvons pas disposer de ce genre de juges », a renchéri le président de centre droit Mauricio Macri. A son tour, le ministre de la justice, German Garavano, a durement critiqué les magistrats « qui n’appliquent pas les peines ». « Assez des verdicts machistes et patriarcaux ! », a lancé, pour sa part, Mayra Mendoza, députée kirchnériste. Des législateurs d’Entre Rios ont réclamé la destitution du juge Rossi. « Il y a deux responsables : l’assassin de Micaela et un juge qui l’a libéré », a dénoncé la présidente du Conseil nationale des femmes, Fabiana Tuñez, soulignant qu’il « y a encore de nombreux secteurs de la justice qui rendent des verdicts machistes ».

Ce n’est pas la première fois qu’un assassin récidive après avoir bénéficié d’une remise en liberté. En 2009, Soledad Bargna, 19 ans, a été tuée par Marcelo Diaz, qui avait été libéré alors qu’il purgeait une peine de douze ans de prison pour viol suivi d’homicide.

Le mouvement Ni una menos est né en 2015, après le viol et l’assassinat d’une adolescente de 14 ans. Le 3 juin de cette année-là, quelque 300 000 femmes et hommes étaient descendus dans la rue pour réclamer des mesures contre la violence machiste. Mais la plupart de leurs exigences et des promesses de réformes de la part des autorités sont restées lettre morte. D’autres manifestations d’ampleur ont eu lieu en Argentine par la suite, Ni una menos devenant un des principaux mouvements sociaux du pays.