Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, à Paris, en mai 2016. | ERIC PIERMONT / AFP

La brouille ne pouvait pas durer. Trop de symboles étaient en jeu. Trop de liens unissent la France et l’Algérie pour que leurs champions industriels Total et Sonatrach se fassent longtemps la guerre, au risque de peser sur les relations entre les deux pays. Lundi 10 avril, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, s’est donc rendu à Alger pour signer la paix avec le patron de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour.

Les deux hommes ont conclu un « accord global » qui vise à « consolider le partenariat existant » entre leurs compagnies, selon le communiqué officiel. Ce pacte prévoit à la fois de mettre fin aux contentieux entre les deux groupes et de lancer de nouveaux projets communs, avec notamment en vue l’exploitation d’un nouveau gisement ainsi que la construction d’une usine de plastique pour environ 1 milliard de dollars (945 millions d’euros). « On met de côté nos différends, on tourne la page et on avance », résume M. Pouyanné.

« Continûment sur place depuis 1952 »

L’accord-cadre marque un nouveau départ pour Total en Algérie, une implantation historique du groupe hexagonal. Les ingénieurs de la Compagnie française des pétroles, ancêtre de Total, avaient été les premiers à arpenter le Sahara et à découvrir les grands gisements au milieu des années 1950. « Nous sommes continûment sur place depuis 1952 », souligne-t-on au siège de la Défense.

Mais, depuis un an, cette relation ancienne était très détériorée. Au point que certains, chez Total, n’excluaient pas de quitter le pays, comme d’autres compagnies l’ont fait.

« On met de côté nos différends, on tourne la page et on avance »

A l’origine de la crise, le durcissement de la fiscalité sur le pétrole et le gaz au milieu des années 2000. Décidée à capter une plus grande part de la rente, alors que les prix des hydrocarbures grimpaient, l’Algérie a instauré, en 2006, une « taxe sur les profits exceptionnels » des compagnies étrangères. Dès que le prix du baril dépassait 30 dollars, celles-ci devaient acquitter un impôt supplémentaire pouvant monter jusqu’à 50 % de la valeur de la production.

« La crise a permis de se parler franchement »

Plusieurs compagnies étrangères ont alors attaqué l’Algérie pour contester la modification unilatérale et rétroactive de leurs contrats provoquée par la nouvelle taxe. Selon elles, les documents signés avec la société pétrolière d’Etat, la Sonatrach, devaient, au contraire, leur assurer une stabilité fiscale.

Après beaucoup d’hésitation, Total et son partenaire espagnol Repsol ont entamé à leur tour, en mai 2016, une procédure devant la Cour internationale d’arbitrage à Genève. M. Pouyanné réclamait un dédommagement de plusieurs centaines de millions d’euros. La Sonatrach a très vite riposté. Elle a accusé Total de ne pas avoir respecté ses engagements dans un autre dossier, celui du développement du gisement d’Ahnet, et saisi elle aussi le tribunal arbitral de Genève.

Comment sortir de ce conflit qui commençait à gonfler ? Au début de l’automne 2016, M. Pouyanné est allé voir le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, pour lui proposer de négocier une paix des braves. « La crise a permis de se parler franchement, raconte le PDG de Total. On a mis sur la table tous les contentieux et commencé à examiner comment on pouvait rebondir. »

« On repart pour vingt ans, dans de nouvelles conditions »

Fort de ce soutien politique, M. Pouyanné a rencontré, en décembre 2016, Amine Mazouzi, alors PDG de la Sonatrach, et posé les bases d’un accord. Il est revenu à Alger en janvier. Le projet a continué à progresser malgré l’éviction brutale de M. Mazouzi en mars. Et, jeudi 6 avril, l’accord en préparation a reçu le double feu vert de la France et de l’Algérie lors de la visite du premier ministre, Bernard Cazeneuve, à Alger.

Selon l’accord de principe conclu lundi, les deux groupes renoncent aux actions en justice qu’ils avaient engagées. Total va continuer à exploiter son seul gisement algérien en service, celui de Tin Fouyé Tabankort (Centre-Est), au-delà du contrat actuel, qui s’arrête en 2019 : « On repart pour vingt ans, dans de nouvelles conditions », se réjouit-on au siège. Un nouveau cadre a aussi été négocié pour la mise en exploitation, mi-2018, du gisement de gaz de Timimoun, à 800 kilomètres au sud-ouest d’Alger. Total en détient 38 %.

Surtout, plusieurs nouveaux projets sont envisagés. En amont, Total devrait prendre sous peu une participation dans un gisement déjà identifié, dont le nom reste confidentiel. En aval, le groupe a retenu l’un des trois dossiers qui lui avaient été proposés : la construction, dans la ville portuaire d’Arzew, d’une usine transformant le gaz en polypropylène. Les matières premières algériennes seront ainsi valorisées sur place plutôt que d’être exportées. De quoi répondre à la demande d’Abdelmalek Sellal, qui, jeudi, déplorait « l’inquiétante tendance baissière des investissements français en Algérie ».

Au total, « on gagne sur certains points, on perd sur d’autres, et l’ensemble est équilibré », assure M. Pouyanné. Aucun des deux groupes ne paie, d’ailleurs, de dédommagement à l’autre.