Selon le journal Les Echos, les investisseurs commencent à intégrer le « risque Mélenchon » dans leurs opérations financières. Ce n’est pas la première fois que la présidentielle française s’invite sur les marchés financiers. Qu’est-ce que ces mouvements signifient ? Marie Charrel, journaliste au service économie au Monde, a répondu à vos questions lors d’un tchat.

Roneth MacBeth : En quoi consiste exactement le « risque Mélenchon » pour les investisseurs ?

Marie Charrel : Les investisseurs internationaux suivent les sondages, et la percée récente de Jean-Luc Mélenchon laisse entrevoir la possibilité d’un second tour entre Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon. Or, le candidat de La France Insoumise tient des propos durs sur l’Union européenne (UE), qu’il estime trop orientée vers l’austérité. Il promet de renégocier les traités européens. En cas d’échec des négociations, il proposerait aux Français une sortie de traités, et donc, de l’UE. C’est ce scénario que redoutent les investisseurs, même si le risque reste faible.

Zorg : Je ne comprends pas pourquoi l’hypothétique arrivée de Mélenchon au pouvoir constitue un « risque » pour les marchés financiers. De quel risque parle-t-on et pourquoi ?

Une partie du programme de Jean-Luc Mélenchon préoccupe certains investisseurs, en particulier ses propos eurosceptiques. Il ne rejette pas l’idée d’engager un « bras de fer » avec l’Allemagne et souhaite réécrire les traités européens de manière radicale. Cela pourrait-il se traduire par une sortie de l’euro et de l’Union européenne ? Oui, si l’on suit la logique du candidat. Cela provoquerait probablement une tempête sur la dette française. Cela inquiète les investisseurs qui en détiennent – même si, là encore, la probabilité de ce scénario reste faible.

Marie : Comment les marchés financiers ont-ils réagi en amont des événements clés de l’année 2016 (référendum au Royaume-Uni, élections américaines). Les marchés financiers, comme les sondages, semblent parfois être peu fiables. Qu’en est-il réellement ?

Les marchés financiers sont, en effet, très « moutonniers », volatils, et ont des comportements parfois erratiques. Ils n’ont pas vu venir la victoire du « oui » au référendum sur le Brexit en juin 2016, ni la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis. Alors que beaucoup d’observateurs imaginaient que les marchés s’effondreraient à la suite de la victoire du Républicain américain, ils sont au contraire entrés dans une phase d’euphorie, car celui-ci a promis un programme de relance susceptible de se révéler porteur pour les Bourses et la croissance.

Fitz : N’oubliez-vous pas dans votre explication que les propositions de Mélenchon sur la dette, sur le rôle de la Banque centrale européenne, sont de nature à faire remonter les taux jusqu’à les rendre insoutenables, et donc mettre la France en défaut de paiement ?

M. Mélenchon souhaite que la Banque centrale européenne (BCE) finance directement les Etats en achetant leurs dettes publiques. Il estime que cela ferait baisser les taux d’intérêts, puisque les Etats n’emprunteraient plus sur les marchés. C’est ce que l’on appelle la planche à billets, et ce n’est pas une solution miracle. En effet, cette technique génère également de l’inflation. Mais un tel projet, qui nécessiterait une modification des statuts de la BCE, susciterait une levée de boucliers dans nombre de pays européens, et pas seulement l’Allemagne, redoutant que certains pays profitent des largesses de la BCE pour financer des dépenses improductives. Il est donc peu probable que M. Mélenchon y parvienne.

Lefish : Il me semble que les fluctuations sur les marchés financiers sont très souvent dues au fait que les entités financières craignent quelque chose, et non pas au fait que la chose ait effectivement eu lieu. Par exemple les marchés ont paniqué après le vote pour le Brexit, mais pour l’instant la situation n’a que très peu changé au Royaume-Uni. Est-ce que les marchés financiers seront très sensibles aux événements qui se dérouleront en France ?

Oui. Il faut en outre distinguer plusieurs phénomènes derrière les comportements des « marchés », qui ne sont pas tous d’affreux spéculateurs. Parmi les investisseurs, il y a ainsi des fonds de pension scandinaves ou asiatiques, gérant l’épargne retraite de particuliers. Ces fonds de pension sont en général très prudents : beaucoup ont ainsi suspendu leurs rachats de dette française en attendant le résultat de l’élection français, par prudence. Ils reviendront après.

Sur les marchés, on trouve également les assureurs, qui achètent de la dette française, que l’on retrouve dans nos assurances vie. Il y a également des hedge funds, qui n’ont pas spécialement « peur » des élections françaises, mais en profitent pour spéculer… Toutes ces catégories de financiers surveillent donc ce qui se passe en France, comme dans tous les pays où ils sont présents, mais ils n’ont pas tous les mêmes stratégies.

Floo : Est-ce que la réaction des marchés financiers est similaire à celle qu’ils ont eue lors du référendum sur le Brexit ? Après l’affolement des marchés financiers, ces derniers n’étaient-ils pas revenus à la normale juste après le Brexit ? Ne pourrait-on pas imaginer que le cas du Brexit puisse rassurer les experts ? Que finalement les marchés bougent au gré des annonces mais redeviennent assez rapidement stables ?

On l’a en effet vu avec le référendum sur le Brexit : après une réaction initiale brutale, les marchés sont très vite revenus à la normale. Cela se produirait-il en cas d’élection de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon ? Il est très difficile de le prédire. Cela dépendrait aussi des résultats des élections législatives. Mais il ne faut pas oublier une chose : le projet de Marine Le Pen, à savoir la sortie de l’euro, n’est en aucun cas comparable au Brexit. En quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni n’aura en effet pas à changer de monnaie. Un retour au franc aurait des implications bien plus profondes et incertaines, pour l’économie française comme pour les marchés : il faudrait renégocier tous les contrats en euros pour les convertir en franc, etc. Le choc sur les marchés, si ce projet devenait concret, serait bien plus violent que pour le Brexit.

Jacques : N’est-il pas justement problématique que les marchés financiers puissent ainsi faire pression sur la décision démocratique ? Les programmes de Macron et Fillon sont peut-être ceux qui rassurent le plus les marchés mais pas nécessairement les plus soucieux de l’intérêt commun…

Font-ils vraiment pression sur le choix des électeurs ? Les Français soutenant Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont-ils effrayés par les possibles remous sur les marchés en cas de victoire de leur candidat ? Une chose est sûre : il faut faire la part des choses. Les mouvements que nous observons sur les taux avant le premier tour ont en vérité peu d’importance : la hausse des taux sur les obligations françaises reste limitée. Ce qui se passera en revanche sur les marchés après le deuxième tour peut avoir des conséquences plus graves. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder ce qui s’est passé en 2012, au plus fort de la crise des dettes souveraines, quand les marchés ont soudain refusé de prêter de l’argent à la Grèce, ou ont exigé des taux bien plus élevés au Portugal et à l’Espagne.

Faut-il regretter cette influence des marchés ? La réponse est complexe. Dans les années 1980, la France a choisi de diversifier ses sources de financements en s’ouvrant sur les marchés. C’est un choix que nous avons fait, comme beaucoup de pays.

Jean Money : Mélenchon a-t-il réellement appelé à une sortie de l’Europe et de l’euro ? Il me semble avoir entendu parler de plan B mais pas de sortie de l’Europe et de l’Euro à proprement parler ?

Son plan B est bien celui d’une sortie des traités et une sortie de l’UE. Or, une sortie de l’UE implique une sortie de l’euro.

Stéphane : Au-delà des risques de marché (liés à la dette notamment), se pose la question de l’attractivité de la France et de la performance économique de ses entreprises ? De gros projets d’investissements internationaux sont actuellement gelés (risque Le Pen/Mélenchon). Qu’en pensez-vous ?

Oui. Au-delà du « bruit » de cette période préélectorale, et de la hausse du « spread » qui inquiète certains observateurs, c’est en effet le vrai sujet. Le « spread », pour rappel, est l’écart entre les taux français et allemands à dix ans. On le considère comme un baromètre du risque : son augmentation signifie que les investisseurs considèrent la dette française comme un peu plus risquée. Mais le « spread » reste aujourd’hui limité, même s’il augmente au gré des sondages.

Le véritable sujet, donc, celui qui primera après les élections, est celui de la capacité de notre pays à générer une croissance suffisamment forte pour résorber au plus vite le chômage, suffisamment forte pour financer notre modèle social, et le tout, sans générer d’inégalités. Cette capacité dépendra des mesures entreprises par le prochain président français. Après le second tour, c’est ce sur quoi les observateurs se concentreront enfin : marchés, économistes, mais aussi investisseurs envisageant de monter des entreprises en France, ou de financer nos start-up, jeunes réfléchissant à rester ou partir après leurs études…

Jarmusch : Est-il juste de parler de hausse du « spread » France/Allemagne, alors que cette hausse est extrêmement limitée, que les taux d’intérêts français sont encore historiquement bas et qu’il y a déjà eu des hausses à d’autres périodes où Mélenchon ne faisait pas l’actualité ?

En effet ! Si la hausse du « spread » signale une légère montée des inquiétudes, les taux français restent à un niveau historiquement bas, inférieur à 1 % pour les taux à dix ans : avant la crise, ils étaient supérieurs à 4,5 %. Il faut donc garder la tête froide, en évitant deux écueils. Le premier est celui de l’angélisme – les taux sont bas, tout va bien, ne changeons rien. Oui, les taux sont bas, mais principalement grâce à l’action de la BCE – et cela ne veut pas dire que l’Etat ne doit pas agir pour favoriser la croissance, réduire les inégalités, doper les investissements dans la recherche et la formation.

Le second écueil est celui du catastrophisme : le « spread » se creuse un peu, mais il n’y a rien de dramatique, ni d’outrageusement dangereux. Nous ne sommes pas violemment attaqués par les spéculateurs, ni au bord de la faillite… Mais cela ne signifie pas pour autant que nous ne craignons rien.