Marie-Laure Choquet, psychologue au CADA Coallia de Rennes. | A. Guillard/Le Monde

Marie-Laure Choquet intervient auprès des résidents du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) Coallia de Rennes depuis treize ans. « Un public qui demande beaucoup d’investissement, souligne-t-elle. La procédure de demande d’asile oblige les gens à raconter leur histoire. »

La psychologue, qui estime « entre trente et cinquante » le nombre de personnes qu’elle voit en moyenne cinq à dix fois dans l’année – sur plus de cent trente « résidents » du centre –, s’efforce de « se décaler de cette injonction à témoigner » et, à cette fin, ne prend pas connaissance des récits. « C’est la façon dont cela a été vécu qui compte », explique-t-elle. Elle travaille avec des interprètes, mais « plus les gens sont traumatisés, moins les mots viennent ». Ou alors « le fil du récit est déroulé d’un bloc sans qu’on entende le vécu subjectif de l’événement », dit-elle.

La langue maternelle « qui est celle de l’affect, replonge dans l’horreur », fait-elle remarquer, et « les cauchemars sont fréquents ». Certains souhaitent parfois s’exprimer en français, quand ils le peuvent, construisant ainsi dans une autre langue « le récit pour raconter l’inénarrable ».

« La scolarisation, une bouffée d’air »

Marie-Laure Choquet voit peu d’enfants. « Les parents vont mal, n’arrivent pas à leur parler. » La scolarisation pendant la période de vie au CADA est à ce titre « essentielle pour les parents comme pour les enfants. C’est une bouffée d’air ».

Parfois, les choses se grippent, comme pour cette fillette de 12 ans qui, après le déclenchement d’une alarme incendie à l’école, ne parvient plus à sortir de son lit, terrassée par le souvenir d’un « vécu insupportable » dont sa mère, mutique, ne peut parler. Toutefois, le soutien psychologique n’est pas indiqué pour tout le monde. « Ce n’est pas miraculeux, les effets sont infimes. (…) On tricote sur des blessures tellement importantes, qui touchent à l’inhumanité », raconte Mme Choquet. Elle évalue à 10 % les gens qu’elle reçoit au centre « qui ne croient plus en l’humanité », qui sont « comme détachés du monde ».

Pour les autres, s’ils ne sont plus là-bas, ils ne sont pas encore vraiment ici. « Souvent, raconte la psychologue, ils montent dans le bus » pour se rendre dans le centre de Rennes, « mais ils décrochent et font deux ou trois tours, sans descendre, déconnectés ».