Défaits (3-2) par Monaco, les joueurs du Borussia Dortmund communient avec leurs supporteurs, mercredi 12 avril. | Martin Meissner / AP

Leonardo Jardim a fait profil bas en entrant dans l’auditorium du BVB Stadion. Quelques minutes après la victoire (3-2) de son équipe, mercredi 12 avril, sur la pelouse des Allemands du Borussia Dortmund, l’entraîneur de l’AS Monaco a pris un ton grave, revenant sur les circonstances dramatiques de ce quart de finale aller de Ligue des champions. « Ce match va rester dans l’histoire par rapport à ce qui s’est passé hier », a dit le technicien portugais au lendemain des trois explosions qui ont visé le bus du club de la Rhur. Une attaque terroriste qui a contraint l’Union des associations européennes de football (UEFA) à reporter la rencontre d’un jour.

« La concentration n’a pas été idéale et la préparation a été difficile. On était dans l’extra-football », a reconnu Jardim, dont les joueurs sont en position favorable avant d’accueillir le Borussia au stade Louis-II, mercredi 19 avril, lors de la manche retour. C’est peu dire que l’entraîneur lusitanien n’a pas fanfaronné après le précieux succès obtenu par ses protégés grâce, notamment, à un doublé de Kylian Mbappé, son prodige de 18 ans. « Les deux équipes sont restées performantes malgré tout », a-t-il estimé, alors que son club, finaliste de l’épreuve en 2004, pourrait devenir la première formation française à atteindre le dernier carré du tournoi depuis l’Olympique lyonnais, en 2010.

L’air maussade, son homologue allemand, Thomas Tuchel, n’a, lui, pas masqué son dépit. Voire sa colère. Déjà privé de plusieurs cadres blessés (André Schürrle et Marco Reus), l’entraîneur du Borussia a dû également se passer des services du défenseur espagnol Marc Bartra, victime d’une fracture du poignet à la suite de l’explosion de plusieurs vitres blindées du bus.

Le Borussia visiblement meurtri

Manifestement, ses protégés n’ont guère eu le temps de recouvrer leurs esprits après l’attaque de la veille qui, selon la police allemande, a bel et bien ciblé le club. Menés (2-0) à la pause, les joueurs de Dortmund ont multiplié les erreurs, concédant un penalty en première mi-temps, finalement manqué par le Brésilien Fabinho. En plein doute, le défenseur Sven Bender a notamment inscrit un but contre son camp sur une tête plongeante. Son coéquipier Lukasz Piszczek a vu, lui, sa passe interceptée par Kylian Mbappé sur le dernier but monégasque.

Devant son auditoire, Thomas Tuchel a vertement critiqué la décision de l’UEFA de n’avoir accordé à ses joueurs qu’un délai de vingt-deux heures avant de disputer la rencontre. «Après l’attaque, nous aurions aimé avoir plus de temps pour digérer tout cela. Et on ne nous a pas laissé de temps. On nous a dit, demain vous devez jouer », a pesté l’entraîneur. Nous nous sommes sentis ignorés. On ne nous a pas demandé notre avis, ils ont décidé ça à l’UEFA, en Suisse. Quelques minutes après l’attaque, on nous a dit qu’on devrait jouer, comme si on nous avait envoyé une canette de bière contre le bus.» 

« Il s’agit aussi de notre rêve de jouer une demi-finale de Ligue des champions, nous aurions voulu jouer à notre meilleur niveau, être compétitifs », a maugréé Tuchel, dont l’équipe, visiblement meurtrie, a concédé sa première défaite de la saison à domicile. Le soutien inconditionnel du public du BVB Stadion n’a guère suffi à remettre d’aplomb des joueurs marqués par leurs mésaventures de la veille et en proie à des fluctuations émotionnelles.

« Merci Monaco »

Tribune la plus imposante d’Europe, le fameux « Mur jaune » avait pourtant entonné avec émotion le très vibrant You Will Never Walk Alone à quelques minutes du coup d’envoi. Le protocole d’avant-match a été marqué par une série de gestes de fraternité et de communion entre les supporteurs des deux camps. « Votre soutien et vos encouragements dans le stade, hier soir, nous a beaucoup émus. Merci Monaco », a clamé le speaker de l’enceinte à l’adresse des trois mille tifosi monégasques présents dans les travées. En retour, ces derniers ont longuement applaudi, ovationnant leurs homologues.

Conscients de l’état psychologique dans lequel se trouvait leur équipe, les supporteurs allemands n’ont guère cessé de l’encourager malgré le scénario de la rencontre. Les chants ont même redoublé d’intensité lors des buts inscrits par le Français Ousmane Dembélé et le Japonais Shinji Kagawa.

Au coup de sifflet final, les joueurs du Borussia se sont mis en ligne pour communier avec leurs fans, dont l’indulgence masquait une pointe de frustration. « Dortmund ! Dortmund ! », ont alors scandé les supporteurs monégasques qui, pour certains, avaient été hébergés la veille par leurs homologues allemands. « Le football n’est vraiment rien après ce que nous avons vécu ce jour-là, a réagi, après le match, Nuri Sahin, le milieu du Borussia. Je sais que nous avons une belle vie, nous gagnons beaucoup d’argent, nous sommes célèbres, mais à cette minute-là, ce que nous avons vécu, ce que nous avons souffert... Quand je pense à ma femme et mes enfants, croyez-moi: le football n’est rien. »

Dans le parking du BVB Stadion, les cadres du club de la principauté ont envoyé des signaux amicaux à leurs adversaires du soir. « Le contexte ? C’était un sale moment, c’est sûr, malheureusement nous vivons dans ce monde-là... », a soufflé, lucide, Kamil Glik, le défenseur polonais de Monaco. « C’était évidemment un contexte particulier, c’était difficile pour les deux équipes, surtout pour Dortmund, mais le foot doit être plus fort et pas pris en otage par ces évènements. Ce sport nous réunit », a martelé Vadim Vasilyev, le vice-président russe de l’ASM, premier club français à s’imposer sur la pelouse du Borussia depuis l’Olympique de Marseille, en 2011.

« Sur ce coup-là, on était tous ensemble. Il n’y avait pas de clan », a ajouté Kylian Mbappé, dont l’équipe avait été stoppée par la Juventus Turin, en avril 2015, en quarts de finale de l’épreuve. Avant de résumer sa soirée : « Il y a les hommes, qui sont très touchés par ce qui s’est passé. Mais sportivement, on a frappé un grand coup aujourd’hui. »