Le président américain à Washington, mercredi 12 avril. | NICHOLAS KAMM / AFP

Alors que l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche laissait entrevoir à Moscou une amélioration de ses relations avec les Etats-Unis, les tirs de missiles américains, le 6 avril, sur la Syrie, en réaction à l’attaque chimique de Khan Cheikhoun attribuée au régime de Bachar Al-Assad, ont radicalement changé la donne. Mercredi, la Russie a une nouvelle fois opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur le sujet. Gilles Paris, correspondant du « Monde » à Washington, a répondu à vos questions. En voici les principaux extraits.

Bertrand : Bonjour. Quel est, d’après vous, le plan de Donald Trump en Syrie ?

Gilles Paris : Bonjour. Si l’on se fie aux interventions du conseiller à la sécurité nationale, H.R. McMaster, de l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Nikki Haley, et du secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, à la télévision, dimanche 9 avril, on est bien en peine d’en trouver un.

Les Etats-Unis font-ils du départ de Bachar Al-Assad une priorité, après avoir privilégié l’élimination de l’organisation Etat islamique, qui permettait d’envisager une coopération avec la Russie ? La réponse change selon qui s’exprime. Donald Trump lui-même n’a pas formulé de plan ou de stratégie. Ce que l’on peut simplement constater, c’est que l’on est passé, en une semaine, du 30 mars au 6 avril, de l’accommodement avec le président syrien à sa stigmatisation, avec les conséquences que l’on a vues sur la relation avec Moscou.

Ganon : Qu’en est-il sur l’enquête du « Russiagate » ? Trump est-il menacé sérieusement et l’attaque en Syrie est-elle une façon d’y répondre ?

Plusieurs enquêtes sont en cours, conduites par la police fédérale et les commissions du renseignement du Congrès. Trois dossiers s’emboîtent comme des matriochkas : tout d’abord les interférences russes sur la campagne, notamment par le biais de WikiLeaks, qui sont attestées selon le renseignement américain mais niées par la Russie ; ensuite les soupçons de coordination entre les acteurs liés à la Russie de ces interférences et des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump. Il n’y a eu aucun élément de preuve sur ce point publié jusqu’à présent. Un troisième élément s’est greffé sur l’ensemble : les accusations agitées par Donald Trump à l’endroit de son prédécesseur, Barack Obama, accusé d’avoir mobilisé l’appareil d’Etat pour le faire surveiller.

Pour l’instant, Donald Trump n’est pas véritablement menacé parce qu’une collusion entre sa campagne et les intermédiaires travaillant avec la Russie, selon l’analyse du renseignement américain, n’a pas été avérée. Il ne parvient cependant pas à se débarrasser de cette affaire.

Il est vrai que les frappes du 6 avril et le coup de froid qui a suivi ont montré qu’il n’était pas inféodé, c’est le moins que l’on puisse dire, à la Russie, mais la décision de jeudi dernier a surtout permis de rebattre les cartes, comme on vient de le voir aux Nations unies, où la Russie s’est retrouvée isolée sur la ligne pro-Assad, soutenue uniquement par la Bolivie, et lâchée par la Chine. Les Etats-Unis avaient été totalement marginalisés, ils sont revenus dans le jeu même si, encore une fois, ils n’ont pas exprimé clairement ce à quoi ils veulent aboutir.

Alberto : Pourquoi la Chine a « lâché » la Russie ? Le président chinois a-t-il été influencé par sa rencontre avec Donald Trump ?

Je ne peux rien dire en ce qui concerne le président chinois mais Donald Trump, en ce qui le concerne, a mis en avant la qualité des liens noués lors de cette rencontre. Est-ce que cela s’inscrit dans un projet de « deal » plus global ? On n’en sait pas plus pour l’instant.

Gyom : Est-il possible que le renseignement américain ait pu disposer d’informations précises concernant la frappe chimique, qui justifierait la riposte américaine ?

C’est en tout cas ce que dit le renseignement américain, qui a rendu public des éléments à charge contre le régime. A part Vladimir Poutine, peu de voix se sont d’ailleurs élevées pour défendre un régime multirécidiviste. Par le passé, des attaques à l’arme chimique imputées au régime ont pu faire l’occasion de contestations, mais sans jamais véritablement convaincre, notamment lorsque la contre-enquête reposait en partie sur des pro-Assad avérés, comme celle concernant les bombardements de la Ghouta, une banlieue de Damas, en 2013.

Pierre A : Je vous cite : « Par le passé, des attaques à l’arme chimique imputées au régime ont pu faire l’occasion de contestations, mais sans jamais véritablement convaincre, notamment lorsque la contre-enquête reposait en partie sur des pro-Assad avérés. » Est-ce que pour vous Richard Lloyd, ancien inspecteur de l’ONU, et Seymour Hersh, prix Pulitzer, qui ont réalisé des rapports réfutant les rapports faits par les services français et américains sont des pro-Assad ?

Maram Susli, qui a collaboré aux travaux de Richard Lloyd et de Theodore Postol, ne fait pas mystère de ses sympathies pour le régime. Je rappelle par ailleurs que « le Monde » était sur place en 2013. Nous avions publié plusieurs reportages et enquêtes de nos envoyés spéciaux à Damas.

Gyom : Selon vous, Donald Trump cherche-t-il à travers la crise syrienne à faire un exemple adressé au régime nord-coréen ?

Donald Trump fonctionne à l’instinct, comme on l’a vu pendant la campagne. Le recours à la force s’inscrit dans sa vision de la politique étrangère qui privilégie le hard power. Il adresse ainsi un message à Bachar Al-Assad, qui imaginait déjà pouvoir compter sur une neutralité américaine, mais effectivement le message va au-delà. Il s’adresse aussi à la Corée du Nord, à l’Iran, ainsi qu’aux alliés des Etats-Unis. Ce message est simple : « Je ne suis pas Barack Obama, je suis imprévisible et je peux utiliser tous les outils qui sont à ma disposition, y compris militaires. »

En quelques jours, Donald Trump a changé sur la Syrie et donc sur la Russie, changé sur la Chine, qui n’est plus accusée de manipuler sa monnaie, et changé sur l’OTAN, qui n’est plus obsolète. Il s’agit d’une série de réalignements sur des positions plus traditionnelles aux Etats-Unis. On peut aussi ajouter qu’il vient de nommer à la direction d’un groupe de conseillers en économie un expert plutôt considéré comme pro-immigration, Kevin Hassett, à rebours du discours de la campagne. En bref, les lignes bougent.

Cynthia : Ces nombreux revirements ont-ils un impact sur l’électorat de M. Trump et la façon dont il est perçu par son camp et le camp opposé ?

Les frappes sur la Syrie sont soutenues par une majorité d’Américains, sans enthousiasme. Une série de sondages l’ont montré. Mais les mêmes enquêtes montrent aussi que l’opinion américaine est majoritairement convaincue par le fait que M. Trump n’a pas de stratégie en Syrie.

Les « faucons » républicains sont satisfaits par les réalignements de M. Trump, même s’ils jugent qu’il ne va pas assez loin. Les démocrates insistent de leur côté sur ce qu’ils présentent comme un manque de consistance.

Il est encore trop tôt pour savoir si l’électorat de M. Trump est troublé par ces revirements. A dire vrai, M. Trump est sans doute plus unilatéraliste qu’isolationniste, même s’il n’a pas de doctrine arrêtée. Il est sans doute impossible de défendre une telle posture dans un monde où les intérêts américains sont partout en jeu. Plaider pour l’Amérique d’abord n’exclut pas d’intervenir partout où c’est jugé nécessaire, comme en Syrie. Mais c’est sans doute la promesse de ne pas déployer la puissance américaine sur des terrains hasardeux.

Khemas : La politique de rapprochement avec la Russie était-elle vraiment géopolitiquement tenable ? Les Etats-Unis sont-ils vraiment en mesure de « sortir » de leur rôle de « gendarme du monde » ?

Donald Trump a redit hier, en recevant le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qu’il serait « formidable » de s’entendre avec Moscou, mais pas à n’importe quel prix. Le rapprochement peut être ponctuel, sur certains dossiers, et s’accommoder de graves divergences sur d’autres. On avait bien vu avec Barack Obama que la crise en Ukraine n’avait pas empêché une coopération étroite sur l’accord nucléaire iranien.

La semaine dernière, sans le dire, Donald Trump a rendossé les habits de « gendarme du monde ». Cela ne veut pas pour autant dire qu’il interviendra partout et tout le temps.