Louis Vuitton - Masters, a collaboration with Jeff Koons
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Ceci est-il un sac ou une œuvre d’art ? La question semble se poser face à la détonnante collaboration entre l’artiste américain Jeff Koons et la maison française de maroquinerie de luxe Louis Vuitton. Dévoilée mardi 11 avril par la marque, elle donnait lieu le soir même à un dîner de gala au Louvre, où 200 personnalités du monde des arts et de la culture – dont les actrices Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Catherine Deneuve, Michelle Williams… – ont pris place dans la salle des Etats entre le roi et la reine de la soirée : Jeff Koons et la Joconde.

Cette collection de sacs s’inscrit dans la lignée des collaborations de la marque avec des artistes : le designer Stephen Sprouse avait le premier, en 2001, donné l’assaut à la célèbre toile marron monogrammée, la recouvrant de son écriture façon graffiti. Avaient suivi Takashi Murakami et son univers kawaii, Richard Prince ou encore Yayoi Kusama. Jeff Koons, qui s’est vu confier une carte blanche, va plus loin. Et revendique un véritable geste artistique.

Kitsch, glamour et ironie

Pour cela, outre le sourire de Mona Lisa (1503-1506), il convie sur les sacs-à-main, pochettes, sacs-à-dos, porte-feuilles et foulards maison : Mars, Vénus et Cupidon, du Titien (env. 1546, Kunsthistorisches Museum de Vienne), La Chasse au tigre, de Rubens (1615-1616, Musée des beaux-arts de Rennes), La Gimblette, de Fragonard (1770, Alte Pinakothek de Munich) et le Champ de blé avec cyprès, de Van Gogh (1889, ­National Gallery de Londres). Comme sur les produits dérivés dont regorgent les boutiques des musées ? Oui. La qualité en plus. Et avec en bonus des cartels portatifs : il y a beaucoup à lire à l’intérieur de chaque sac, en lettres dorées : une biographie du peintre accompagnée d’une reproduction d’un autoportrait, des explications sur le tableau et une biographie de Koons, représenté, pour sa part, par son célèbre lapin gonflable. Un savant mélange de kitsch, de glamour et d’ironie : du Koons tout craché.

Cette sélection de tableaux fait partie de la dernière grande série de l’artiste : les « Gazing Ball Paintings ». Soit les copies d’une quarantaine de tableaux devant lesquels il a placé des boules réfléchissantes bleues, qui projettent le spectateur et l’œuvre dans un même espace visuel, et donnent à l’artiste le rôle de pivot de transmission. Point de boules bleues dans la version Vuitton. A la place, le nom de chaque peintre est placardé en larges lettres métalliques au beau milieu des tableaux, égalements sertis de monogrammes retravaillés par l’artiste. Aussi apparaissent-ils presque en grandioses toiles de fond. Entre l’hommage et la provocation de la part de ce grand collectionneur de peinture qu’est Jeff Koons.

« Les noms des artistes en lettres réfléchissantes ont la même fonction que les gazing balls », assure-t-il dans une interview filmée donnée à l’équipe Vuitton. Pour lui, les peintures « Gazing Ball » comme les sacs « ne sont pas de simples copies de peintres. Ils en sont une transcendance. L’objet devient autre. C’est l’idée de Léonard de Vinci, et c’est Léonard de Vinci l’être humain. Mais c’est aussi qui a aimé Léonard de Vinci : Verrocchio, Uccello... », détaille-t-il, espérant « que les gens qui voient ces sacs sentent cette connexion ». Sa démarche est ainsi rien de moins qu’« une célébration de l’humanité. »

« Ces sacs sont de l’art »

« Je voulais que cela devienne de l’art, je pense que ces sacs sont de l’art », conclut-il dans la vidéo. « Pour moi, l’art est ce qui nous permet d’être plus conscients de notre vie, de notre potentiel et de ce que nous pouvons devenir. L’art n’est jamais l’objectif, c’est la capacité qu’à l’objet de nous communiquer ce que nous pouvons réaliser pour élargir notre vie », peut-on lire dans la transcription longue de l’échange réalisé dans son studio new-yorkais.

LOUIS VUITTON

La collection est la première étape d’une collaboration au long cours, et non pas une édition limitée : à l’automne, elle se poursuivra avec de nouvelles œuvres. Parmi ce condensé de sujets qui traversent l’histoire de l’art (un paysage, un portrait, une scène d’amour, une scène de jeu, une scène de chasse), certains tableaux disparaîtront, d’autre poursuivront. Si la Joconde et le Van Gogh apparaissent d’emblée comme des valeurs sûres (avec un nombre de déclinaisons largement supérieures aux autres modèles), certains modèles seront de fait limités par leurs contenus : les nus du Fragonard et du Titien, comme la chasse du Rubens, les excluront des boutiques implantées dans certains pays musulmans, sait-on déjà.

Les cinq musées associés au projet ne peuvent que se réjouir de ce coup de projecteur, qui devrait au passage drainer des clients curieux de découvrir la version originale des œuvres qui ornent leurs épaules (vendus entre 1 800 et 3 000 euros selon les modèles) : l’affaire, si l’on peut dire, est dans le sac.