Certains évêques africains n’aiment pas le pape François. C’est le cas du très conservateur cardinal Sarah, ancien archevêque de Conakry, et d’autres excellences ou éminences qui estiment le pontife argentin trop progressiste et « occidental ». Mais le chef de l’église catholique, qui se rendra en Égypte les 28 et 29 avril, pense beaucoup à l’Afrique, dont 50 % des habitants sont chrétiens et 20 % catholiques. Plus encore, l’Afrique est une véritable pépinière de petits et grands séminaristes, sans oublier les milliers de prêtres du continent qui célèbrent la messe en Europe dans des églises qui, sans eux, seraient fermées.

L’ancien archevêque de Buenos Aires constate aussi que, comme en Amérique latine, nombre de fidèles désertent l’Eglise de Rome au profit des confessions évangéliques dont beaucoup, telles l’Église du christianisme céleste ou celle des Chérubins et Séraphins, sans oublier les Kimbanguistes, sont nées en Afrique. Le Vatican souhaite aussi contrôler de plus près les initiatives politiques des évêques locaux, souvent très – voire trop – impliqués dans les controverses électorales.

Proximité des mitres et des urnes

Si des médiations épiscopales ont pu mettre un terme à des impasses politiques, comme celle, en 1989 au Bénin, de Monseigneur de Souza, archevêque de Cotonou, des interventions trop fréquentes peuvent nuire à l’Eglise. On le voit en République démocratique du Congo (RDC), où la proximité des mitres et des urnes pose des problèmes aux pro- ou anti-Kabila. Il y a dix ans, lors de la crise en Côte d’Ivoire, certains évêques ivoiriens prirent fait et cause pour Laurent Gbagbo, tandis que d’autres étaient hostiles à cette confusion des crosses et du pouvoir, et que la médiation du cardinal ghanéen Turkson fut un échec. Il est vrai que ce dernier a depuis fait preuve d’une surprenante islamophobie en prétendant, en 2012, que l’Europe était vouée à devenir principalement musulmane, au prix d’un déclin de la civilisation chrétienne.

Le pape François souhaite donc renforcer le rôle des nonces apostoliques, souvent doyens du corps diplomatique, parfois redoutés pour leur propension à demander la démission d’évêques défaillants sur le plan du célibat ou de la corruption. Depuis 2013, des accords ont été signés avec de nombreux gouvernements au Tchad, au Cap-Vert, en Guinée équatoriale, au Soudan du Sud, au Cameroun, au Burundi, en RDC, Bénin, au Congo-Brazzaville, en Mauritanie… On se rapproche d’une Afrique concordataire [lorsqu’un traité est signé entre le Vatican et un Etat pour définir les domaines respectifs et éclaircir les relations entre l’Eglise catholique et les autorités civiles] inspirée par l’histoire de l’Europe.

Il s’agit de mieux garantir les droits de l’Eglise catholique, très présente dans la santé et l’éducation. Il ne faut pas oublier que les nombreux petits séminaires sont souvent les meilleurs établissements dans les séries littéraires et qu’un ancien petit séminariste de Dakar a même réussi à intégrer l’hypokhâgne de Louis-le-Grand, celle-là même de Léopold Sédar Senghor.

Finances du diocèse et cassette personnelle

Mais les problèmes d’ordre éthique ou économique posés par les prêtres africains sont nombreux sur ce continent où la soutane reste un symbole de promotion sociale. En 2009, Benoît XVI avait renvoyé de l’Etat clérical Monseigneur Milingo, archevêque de Lusaka, qui s’était autoproclamé grand exorciste et avait accusé des cardinaux de satanisme avant de se marier à une Coréenne adepte de la secte Moon.

Le même Benoît XVI avait obtenu, en 2012, la démission de deux évêques de Centrafrique, dont l’ancien archevêque de Bangui, accusés d’avoir confondu les finances de leur diocèse avec leur cassette personnelle tout en tolérant le concubinage de nombreux prêtres. Ceux-ci avaient d’ailleurs menacé de faire la grève de la messe si l’on ne tenait pas mieux compte des spécificités africaines de leur vie et de leur mission.

Le pape François sait très bien que se désintéresser des diocèses africains, sollicités fréquemment par les évêques européens, demandeurs de jeunes prêtres, équivaudrait à priver de sacrements nombre de catholiques du Vieux Continent. Il se souvient du « pape » Christophe XVIII, « ancien prêtre » du diocèse d’Abomey, au Bénin, et compagnon d’une jeune femme, « Parfaite de Banamé », qui se prenait pour la réincarnation de Dieu le père. François aurait tort de ne pas se préoccuper d’un continent aussi porté sur la mystique et aussi dévoué à toutes les religions.

Odon Vallet est écrivain et enseignant, doctorant en droit et en science des religions. Administrateur de la société des lecteurs du « Monde », il dirige la Fondation Vallet qui, depuis 2003, a remis près de 12 000 bourses à des étudiants béninois.