Le Conseil national du numérique a adressé, vendredi 14 avril, un courrier au ministre de l’intérieur, Matthias Fekl pour « l’alerter sur les conséquences graves et non anticipées d’une limitation du chiffrement ».

Dans ce courrier, le CNNum réitère sa position concernant cette technique permettant de brouiller les messages sur Internet, technique que les autorités considèrent comme un obstacle fréquent aux enquêtes, notamment terroristes. L’instance consultative rappelle ainsi que « le chiffrement est surtout un outil de protection vital face à des cybermenaces toujours plus redoutables », citant le « rempart contre l’espionnage économique » qu’il représente pour les entreprises ou sa contribution à « la souveraineté » de la France.

« Une efficacité toute relative »

Cette missive, signée des trois vice-présidents du CNNum – son président a démissionné pour rejoindre la campagne d’Emmanuel Macron –, affirme qu’une « limitation du chiffrement aboutirait à un affaiblissement dommageable de la sécurité », tout en ayant « une efficacité toute relative sur l’infime minorité d’utilisateurs ciblés ».

Les auteurs de la lettre justifient leur envoi par les déclarations de M. Fekl, le 27 mars dernier, devant les députés de la commission des libertés civiles du Parlement européen. Il y avait, avec son homologue allemand Thomas de Maizière, évoqué la question du chiffrement.

« Nous faisons face à beaucoup d’opérateurs non coopératifs », avait expliqué M. Fekl :

« Je pense notamment à la messagerie Telegram, qui n’a pas d’interlocuteur à nous présenter et envers laquelle nous sommes à ce jour sans outil efficace en termes de déchiffrement ou de retrait des contenus. C’est inacceptable, et là-dessus, nous devons avancer. »

Le chiffrement au menu européen

« Il n’existe aucun moyen juridique au niveau européen permettant de forcer un opérateur à coopérer avec les services judiciaires », avait déploré M. Fekl. En février, les ministres français et allemand de l’intérieur avaient envoyé une lettre à la Commission l’incitant à assujettir les messageries au même régime légal que les opérateurs téléphoniques en matière d’interceptions de communication et de coopération avec les autorités. Une réclamation répétée devant les députés par le ministre français le 27 mars.

Après avoir étudié la question ces derniers mois, l’exécutif européen prévoit justement de faire des propositions aux gouvernements à ce sujet lors du prochain Conseil européen, les 22 et 23 juin prochains.

La crainte de la majorité des experts et des défenseurs de la vie privée, dont le Conseil national du numérique, c’est un affaiblissement généralisé des techniques de chiffrement, qui protège aussi les citoyens et les entreprises. « Il est aussi indispensable de garantir le droit à la vie privée numérique des citoyens, avait tenté de rassurer M. Fekl le 27 mars, nous ne le négligeons pas et nous veillerons à ce que toutes les dispositions soient prises en ce sens ». « Nous avons besoin de sécurité grâce au chiffrement et nous avons besoin de sécurité malgré le chiffrement. Nous sommes favorables au chiffrement de bout en bout, nous ne voulons pas de porte dérobée [une fonctionnalité affaiblissant le chiffrement], mais nous ne voulons pas que certains s’excluent du contrôle », avait renchéri Thomas de Maizière.

S’il n’en fait pas mention, le courrier du CNNum intervient cependant quelques jours après les déclarations d’Emmanuel Macron, qui a indiqué cette semaine vouloir que « les entreprises [d’Internet] acceptent un système de réquisition légale de leurs services cryptés comparable à celui qui existe aujourd’hui pour le secteur des opérateurs de télécom » par le biais d’une initiative européenne.

Le « mégafichier » à nouveau sur la table

Les vice-présidents du CNNum rappellent aussi dans leur courrier leurs « préoccupations » au sujet du fichier Titres électroniques sécurisés (TES), le « mégafichier » désormais étendu à la France entière et qui va à terme recueillir les empreintes biométriques de millions de Français. Ils dénoncent un choix « partiel et partial » du gouvernement et l’accusent d’avoir « [retenu] une conclusion tronquée » de l’avis rendu par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI), chargée de la défense numérique de l’Etat, au sujet de la sécurité de ce fichier.

Le fichier TES a été généralisé à la totalité du territoire français le 28 mars dernier.