Redéfinir la relation des acteurs économiques avec le continent africain : c’était l’objectif affiché par le colloque « Tout Afrique : les enjeux d’une approche continentale », organisé mercredi 12 avril par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique). Le lieu n’avait pas été choisi au hasard : l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, vient d’inaugurer l’exposition « Trésors de l’islam en Afrique », qui met en valeur les multiples échanges culturels au sein de la zone sahélienne, à la croisée du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Une frontière symbolique que l’AFD souhaiterait abolir pour renouveler sa stratégie sur le continent.

Parmi les quelque 200 invités : Alpha Condé, le président guinéen, Pierre Gattaz, le patron du Medef, et Jean-Marc Ayrault, le ministre français des affaires étrangères, qui se sont relayés au pupitre pour vanter les opportunités offertes par l’Afrique de demain. Mais aussi un parterre d’investisseurs et de représentants économiques venus humer les tendances du business. « Les politiques passent leur temps à diviser l’Afrique quand les entrepreneurs la voient comme un tout », a résumé Janine Diagou, directrice générale du pôle banque du groupe ivoirien d’assurances NSIA.

Les bailleurs de fonds étaient de la partie, réunis en table ronde, afin d’« appréhender l’Afrique autrement ». L’optimisme était de mise, et les sujets qui fâchent laissés de côté. « Depuis le début du débat, on n’a pas entendu parler de corruption », s’est agacé un auditeur lors de la séance de questions-réponses. Un autre a rappelé l’importance de l’économie informelle pour des millions d’Africains tenus à l’écart des richesses issues des matières premières. Applaudissements de la salle.

« L’économie informelle, nous passons notre temps à nous demander comment la formaliser, comment la faire rentrer dans un cadre supposé plus efficace. Comment, en somme, lever des impôts. Il faut prendre en compte le réel », avait remarqué plus tôt Achille Mbembe, historien et philosophe camerounais qui participait à la table ronde, avant de plaider pour « une compréhension plus fine des sociétés africaines ».

Construire un « récit africain »

Le colloque « Tout Afrique » n’est encore qu’une ébauche. Pour Rémy Rioux, directeur général de l’AFD, il s’agissait d’abord de « capturer un moment » et de « perturber le jeu », pour « envoyer un message aux entreprises françaises ». Le mot d’ordre ? « Déstabilisons-nous et voyons ce qu’il en sort. »

« Il faut sortir de cette logorrhée sur l’Etat africain faible »

A ce titre, la table ronde « Transitions africaines » a apporté un éclairage moins convenu. Comment adopter une lecture unifiée de l’Afrique tout en prenant compte des particularités locales ? « Il n’y a pas de contradiction entre l’unité africaine et le concept d’Etat-nation, a assuré le politologue Jean-François Bayart. Les Etats tels qu’ils ont été dessinés par le colonisateur ont été acceptés par les Africains. Ils reposent sur des terroirs historiques. Il y a par exemple un fort patriotisme congolais. Il faut sortir de cette logorrhée sur l’Etat africain faible et tenir compte de la résilience du cadre national. »

Parmi les pistes évoquées pour unifier la stratégie économique en Afrique, la mise en place d’un « récit africain ». Une notion débattue par Karim al-Aynaoui, directeur général du think tank marocain OCP Policy Center, qui a plaidé pour la construction d’un « narratif » voué à aiguiller les investisseurs privés : « Les Africains n’ont pas encore gagné la bataille de la communication. Prenez les Chinois : ils ont leur propre narratif sur l’Afrique. Pour eux, c’est la Chine d’il y a trente ans, une nouvelle frontière de développement sur laquelle ils sont en train d’organiser l’exportation de 85 millions d’emplois en raison de la hausse des salaires dans leur pays. Ils sont convaincus que leur propre stratégie de croissance marchera en Afrique. »

De quoi faire sourciller Achille Mbembe : « Ce qui me gêne, c’est que le récit soit porté par autrui, et pas par nous [les Africains]. Or il est fondamental de construire ses propres infrastructures psychiques. » Et le penseur de fustiger le « consensus autour de la croissance », au détriment d’une vision sociétale dépassant les impératifs économiques. « La question fondamentale, c’est : comment produit-on du bien-être pour plus de 2 milliards d’Africains en 2050 ? »