Appelé une dernière fois à la barre, le général Brunot Dogbo Blé a continué à vivement rejeter les lourdes accusations pesant sur lui. « Je ne suis pas mêlé à cela », insiste-il, ce jeudi 13 avril, face aux jurés de la cour d’assises de Yopougon, une commune d’Abidjan. Dans la salle climatisée, des partisans de l’ancien chef de la Garde républicaine ivoirienne de l’ex-président Laurent Gbagbo acquiescent de la tête. Ils patienteront jusqu’au cœur de la nuit, après six heures de délibération, pour entendre tomber la sentence : dix-huit années de prison ferme pour le haut gradé poursuivi lors de ce procès des « disparus du Novotel ».

Rappel des faits : le 4 avril 2011, alors que la Côte d’Ivoire est plongée dans une meurtrière crise post-électorale, un commando militaire fait irruption dans l’hôtel Novotel du Plateau, à Abidjan. Ils en repartiront avec son directeur, le Français Stéphane Frantz di Rippel, et trois clients : son compatriote Yves Lambelin, directeur général de Sifca, plus grand groupe agro-industriel ivoirien, et deux collègues de ce dernier, de nationalités béninoise et malaisienne. Selon l’accusation, les quatre hommes sont alors conduits au palais présidentiel pour y être « torturés, sauvagement battus, avant d’être tués ».

Une balle dans la tête

La cour, qui n’a pas suivi le réquisitoire du parquet exigeant des peines de prison à vie, a requalifié l’assassinat en meurtre, rejetant ainsi le caractère prémédité. Les deux adjoints de Brunot Dogbo Blé ont aussi été condamnés à dix-huit ans de prison. Accusé d’avoir achevé Yves Lambelin d’une balle dans la tête, le commissaire Osée Loguey a quant à lui été condamné à vingt ans d’enfermement. Deux autres membres du commando ont reçu des peines de prison plus légères et quatre autres ont été acquittés.

« La cour a considéré qu’il y avait une chaîne de commandement à la tête de laquelle le général Dogbo Blé était le principal chef de ce drame », a commenté, à la sortie du tribunal, Me Pierre-Olivier Sur, l’un des avocats français des familles des victimes. Il a critiqué le comportement des accusés, qualifiant leur défense d’« abjecte » : « Pire que de nier les faits, ils ont adopté une attitude révisionniste en indiquant que c’était peut-être la France qui avait tué, ou l’ONU. » La défense a en effet régulièrement évoqué l’hypothèse d’une bavure due au bombardement du palais présidentiel par les forces françaises et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), qui aurait tué les captifs. Une version contredite par des témoins.

Au moment de l’enlèvement des quatre hommes, la bataille faisait rage dans les rues d’Abidjan entre les fidèles du chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, et les combattants de l’opposant Alassane Ouattara, tous deux assurant avoir remporté l’élection présidentielle de fin 2010. La communauté internationale avait rapidement reconnu la victoire de ce dernier. Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo est finalement arrêté, grâce à l’aide militaire française. M. Ouattara a été réélu chef d’Etat en 2015.

Pourvoi en cassation

« A l’issue de l’instruction, qui a duré plusieurs années, et de ce procès, on ne sait toujours pas qui a tué ces quatre personnes. C’est un échec de la justice ivoirienne », a réagi Me Ange Rodrigue Dadjé, l’un des avocats de la défense, qui a dénoncé l’absence de preuves matérielles contre ses clients et a annoncé un pourvoi en cassation.

« Les condamnations ne changeront pas grand-chose, nous sommes surtout déçus de ne pas avoir eu les réponses que nous attendions », a expliqué Gaëlle Frantz di Rippel, la fille du directeur du Novotel, jointe au téléphone avant l’annonce du verdict : « Pourquoi les ont-ils enlevés ? Qui a donné l’ordre ? Où sont les corps ? Nous en voulons aux accusés de ne pas avoir fait preuve de compassion à l’égard des familles de victimes. »

Seuls les restes d’Yves Lambelin, repêchés dans la lagune d’Abidjan, ont été à ce jour formellement identifiés. Le sort des trois autres dépouilles mortelles est toujours inconnu.