Il arrive parfois au balayeur de se dire que s’il gagnait 2 000 euros nets, il ne « les volerait pas », à 50 ans passés et après vingt ans au service propreté de sa ville. Puis Jean (le prénom a été changé) pense à ces hommes de son âge, de plus en plus nombreux à l’arrêter dans la rue pour savoir « si par hasard ils embauchent à la mairie, même pour nettoyer les rues ». Et à ce jeune collègue qui vient d’apprendre qu’il ne serait pas gardé, « après deux ans de petits contrats ».

Carrure de colosse, regard tendre, Jean soupire : « Les collectivités n’embauchent plus. » Il a fait la liste sur un bout d’enveloppe : ils étaient 19 titulaires quand il a commencé, ils ne sont plus que 11. Il sait bien que « les maires font comme ils peuvent, avec la baisse des dotations de l’Etat… ». Mais quand il entend Fillon dire qu’il faudrait élargir le recours aux contractuels [agents non-titulaires dont le recrutement est plus souple et le statut plus précaire], il se dit qu’un jour viendra peut-être où la fonction publique « ne tournera plus qu’à ça ».

Accoudé à la table du petit local de service, son gilet jaune fluo suspendu devant les posters de voitures et de pin-up, Jean se dit alors que même s’il ne dort pas toujours très bien à cause de « ces foutues fins de mois » toujours à découvert, il n’est pas si mal loti. Même en étant un « tout petit fonctionnaire ». Lui, au moins, a la sécurité de l’emploi. Et il préfère rire de ce système de grades et d’échelons de la territoriale, même s’il trouve ça un peu absurde et souvent décourageant. « Surtout dans la catégorie C, il y en a beaucoup. A croire que c’est fait pour qu’on mette le plus de temps possible à monter ! » Il mime alors l’ascension d’une échelle, barreau après barreau.

Jean a bien essayé le concours pour devenir agent de maîtrise. Raté deux fois. Pas facile quand on a quitté l’école trop tôt, avec seulement un CAP en poche. Il ne jette pas la pierre à « ceux qui ont les diplômes » et une meilleure situation, comme son frère qui était haut fonctionnaire. Mais il se dit que « s’il faut vraiment enlever des fonctionnaires, ce serait plutôt en haut. Ce ne sont pas les petits comme nous qui coûtent cher ».

En juillet, Jean a enfin obtenu un nouveau grade. Et quelques euros de plus sur son salaire, qui tourne désormais autour de 1 550 euros net. « Toujours mieux que les 5 300 francs (807 euros) de mes débuts. » Son frère pensait alors qu’il s’agissait juste du montant d’un bonus, il en rit encore. Sa fiche de paie gonfle parfois de quelques euros en fonction des primes de technicité, des dimanches et jours fériés travaillés, et des indemnités de travaux insalubres, une seule par demi-journée, 2,06 euros. Mais à dire vrai, Jean compte plutôt ce qu’il doit sortir chaque mois : 420 euros de loyer, 90 d’impôts, 160 de pension alimentaire pour ses fils, 80 de crédit à la consommation…

A l’époque des heures supplémentaires défiscalisées, sous Sarkozy, il arrivait à mettre 70 euros de côté chaque mois, la seule fois où il a pu faire quelques économies. « Et puis Hollande y a mis fin ! », s’agace-t-il. Jean a toujours voté à droite. Et cette année, ce sera Dupont-Aignan, « parce que lui, au moins, il ne veut pas saccager le service public ». Il ajoute : « Et puis, lui n’a pas de casseroles. » En attendant de savoir « à quelle sauce le pays va être mangé », le balayeur scrute les offres d’emplois dans La Gazette des communes. Il changerait bien d’air et de secteur. « Je commence à les connaître, les rues de ma commune. »

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