Cibles de pétards et de bombes agricoles de la part de certains de leurs homologues du Besiktas, les supporteurs de l’OL installés en tribune sud ont envahi la pelouse avant le coup d’envoi. | Emmanuel Foudrot / REUTERS

La rencontre Lyon-Besiktas était classée à haut risque. Jeudi 13 avril soir, elle a tenu toutes ses (mauvaises) promesses. La victoire sportive de l’OL (2-1), au finish avec deux buts en deux minutes, n’a failli jamais avoir lieu. Le match aurait pu être annulé malgré la mobilisation de 1 000 stadiers et le renfort de six compagnies de CRS et de gendarmes mobiles.

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Finalement, le coup d’envoi a été décalé de 45 minutes suite à de graves incidents. Des premiers affrontements se sont produits deux heures avant le coup d’envoi aux abords du stade : entre ultras lyonnais et ultras turcs, puis entre les uns et les autres opposés aux forces de l’ordre. La boutique du club a également subi des dégradations, visiblement de la part d’un groupe de supporteurs du Besiktas venus d’Allemagne. Impossible dès lors de procéder aux fouilles sérieuses et renforcées qui étaient annoncées. Un grand nombre de supporteurs ont en effet forcé le passage et débordé la sécurité, ce qui a eu une importance cruciale par la suite.

Pelouse envahie

Cette atmosphère détestable s’est prolongée à l’intérieur du stade. Le climat est devenu délétère et à un quart d’heure du coup d’envoi, les supporteurs lyonnais de la tribune sud ont envahi la pelouse. En cause, des pétards et des bombes agricoles qu’ils recevaient depuis la volée supérieure juste au-dessus de leur tête, occupée par leurs homologues turcs. « Certains se demandent comment il est possible qu’un terrain soit envahi. S’il n’avait pas pu être envahi, nos supporteurs auraient été pris au piège par les supporteurs turcs qui sont entrés en force et certains étaient sans billet », a défendu le président de l’OL, Jean-Michel Aulas.

L’intervention de la police s’est avérée nécessaire pour faire refluer les spectateurs à leurs places. Jean-Michel Aulas, est également intervenu pour tenter de rassurer son monde. Cela n’a pas empêché plusieurs centaines de supporteurs lyonnais, des familles notamment, de quitter l’enceinte à la mi-temps, effrayés par la tournure des événements. Image surréaliste, le président a même assisté à la première période au milieu des supporteurs demeurés en tribune. Cette première ne cache cependant pas certaines erreurs commises en amont. L’homme fort de l’OL s’est-il senti au moins en partie responsable ?

Un stadier du Parc OL est agressé par des supporteurs du Besiktas. | PHILIPPE DESMAZES / AFP

Ses premières déclarations, après la rencontre, ne le laissent en tout cas pas transparaître. Il rejette toute faute : « On peut toujours dire que l’organisateur doit faire face mais soit on fait des stades qui permettent de faire du football de famille ou bien l’on construit des blockhaus avec des barbelés. Ce n’est pas le football que l’on aime. Je pense que c’était à deux doigts d’être annulé. Ce retard est peut-être une première dans les annales de l’UEFA. »

Pourtant, ce cocktail explosif était loin d’être inattendu : la préfecture du Rhône avait prévu l’arrivée de 20 000 à 25 000 fans du club stambouliote de Besiktas et classé en conséquence le match au niveau maximum de sécurité, soit 4, équivalent à celui de l’Euro 2016. Venue en majorité de toute la France et des pays frontaliers, la diaspora turque s’est fortement mobilisée et a fait une razzia sur les premiers billets. Dès l’ouverture à la vente, des supporteurs lyonnais avaient alerté le club, inquiets du phénomène. L’OL mettait quelques jours à réagir et à bloquer la vente pour favoriser ses abonnés.

Le mal était déjà fait. Et résultat, la troisième volée du Parc OL a été remplie de spectateurs adverses. La gestion de ces supporteurs disséminés, souvent mélangés avec les locaux, ne pouvait être qu’un casse-tête sécuritaire. Joints par Le Monde mardi, la préfecture et le manager du Parc OL, Xavier Pierrot, reconnaissaient d’ailleurs qu’ils ne savaient pas encore comment il allait être possible de canaliser l’afflux de fans du club stambouliote en provenance de toute l’Europe. En effet, seuls les 3 000 ultras du parcage visiteur, les « supporteurs officiels », pouvaient être complètement encadrés.

Le club rhodanien, propriétaire de son stade inauguré en janvier 2016, admettait juste une erreur de communication envers ses abonnés mais se disait impuissant pour contrôler la vente des billets au grand public. Interrogé en zone mixte après la fin du match, Jean-Michel Aulas a de nouveau réfuté toute responsabilité.

« Selon la loi française, à partir du moment où l’on met en place une billetterie digitale, nous n’avons pas le droit de faire du refus de vente. Nous avons simplement fait en sorte qu’il n’y ait pas de vente à l’étranger. Mais ils se sont très bien organisés. Il y a une colonie turque très importante en France avec des centaines de milliers de représentants. Ils ont pu récupérer plus de billets que nous ne l’imaginions. Il y a eu aussi l’arrivée d’Allemagne de supporters turcs qui n’auraient jamais dû être là. Nous les avions bloqués car certains sont interdits de stade. Ils étaient là car quelqu’un leur a vendu des billets. C’est dans l’organisation qu’il y a eu un certain nombre de problèmes, probablement dans le kop visiteurs où nous avons retrouvé ces gens dangereux. »

N’était-il pas possible de procéder autrement ? En réservant la vente aux abonnés, en ne l’autorisant qu’aux personnes physiques à des guichets ou encore en regroupant les supporteurs turcs dans un tronçon de la tribune, comme pendant l’Euro où les spectateurs des équipes adverses n’étaient pas mélangés… Si la soirée est allée à son terme, on a cependant frôlé la catastrophe.

Des affrontements ont eu lieu en tribunes pendant le match. | Robert Pratta / REUTERS

Le gardien lyonnais Anthony Lopes, l’un des rares joueurs de l’OL à répondre à la presse, n’a pas cherché à cacher son inquiétude et sa colère après-coup. « Ce sont des choses inadmissibles qu’on ne veut pas voir dans les stades et ailleurs. Avec plus de 20 000 supporteurs adverses dans notre stade c’était sûr qu’il allait y avoir des débordements et que ça allait être compliqué. On avait nos familles, nos enfants dans les tribunes. On a été sacrément touchés. Il a fallu se vider la tête et faire abstraction de tout ça. Ça aurait été la meilleure des choses (de ne pas jouer) », a lancé le champion d’Europe portugais.

Erdogan réagit

48 heures après les explosions qui ont visé le bus du Borussia Dortmund et provoquées le report de la rencontre de Ligue des champions face à Monaco, l’UEFA se serait sans doute bien passée de cette nouvelle publicité désastreuse, cette fois-ci en Ligue Europa. La puissante instance européenne du football a tout intérêt à marquer le coup et à se montrer sévère envers ceux qu’elle estimera fautifs.

L’intox franco turque a déjà commencé à ce sujet. A trois jours du référendum qu’il organise pour valider le renforcement de ses pouvoirs, le président Recep Erdogan a réagi à la télévision nationale : « C’est très dangereux si les supporteurs français ont pénétré sur la pelouse. » Le site du journal pro gouvernemental Sabah a, lui, accusé les Lyonnais : « Les hooligans de Lyon ont attaqué les supporters turcs, dont des femmes et des enfants, et ensuite les fans de Besiktas ont répliqué. »

Offensif comme à son habitude, le président de l’OL désigne lui aussi le coupable et propose sans attendre ses propres sanctions : le huis clos pour le match retour programmé dans une semaine à Istanbul.

« Ce serait la solution d’équité J’espère que l’UEFA prendra toutes les dispositions qui s’imposent (…) Je ne pense pas qu’on puisse maintenir ce match, ou alors à huis clos ou à l’extérieur. Mais ça me paraît difficile de retourner à Besiktas. Quand on voit comment cette ferveur déborde de tous les côtés, on a très peur », a déclaré plein de culot Jean-Michel Aulas. Pas sûr que ce réquisitoire ne suffise à convaincre l’UEFA et à faire oublier sa responsabilité d’organisateur de l’événement.