A Lille, le 10 avril. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Editorial du « Monde ». Depuis un demi-siècle, l’élection présidentielle a été le moteur de la vie politique française, le moment où son paysage se recompose et où de nouvelles générations de responsables s’imposent. Stratégie d’union des gauches, rassemblement conflictuel des droites, bipolarisation des forces partisanes, émergence du Front national : tous ces mouvements de fond ont été déclenchés, peu ou prou, par l’élection reine de la VRépublique.

Peut-être le scrutin de 2017 sera-t-il jugé, demain, à l’origine d’un cours nouveau de notre vie publique, comme le creuset d’organisations, de rapports de force et de leaders inédits. Pour l’heure, il apparaît surtout comme le moteur d’une décomposition accélérée.

Qu’on en juge. Les candidats des deux grands partis qui ont gouverné le pays depuis des décennies – socialistes et droite républicaine – recueillent à peine plus du quart des intentions de vote à quelques jours seulement du premier tour et sont menacés d’être éliminés. Même lors de l’élection atypique de 2002, l’on était encore très loin d’un tel effondrement. Gauche radicale et extrême droite nationaliste, qui se contentaient jusqu’à présent de faire « turbuler » le système, semblent aujourd’hui en capacité de se qualifier pour le tour décisif.

Complaisance coupable

De même, une majorité de Français semble disposée à soutenir des postulants à l’Elysée prêts à jeter par-dessus les moulins les disciplines économiques les plus élémentaires, à tenir pour négligeable le poids de la dette publique française, à s’affranchir des contraintes pour mieux creuser déficits budgétaires et déséquilibres commerciaux, à considérer enfin les marchés financiers comme de ridicules tigres de papier. Au point de prendre leur désir pour la réalité et de croire que la politique qui avait échoué en 1981-1982 pourrait, comme par miracle, réussir aujourd’hui.

De même encore, huit des onze candidats en lice envisagent, d’une manière ou d’une autre, de sortir de l’Union européenne (et de la zone euro) si celle-ci, à commencer par l’Allemagne, ne se plie pas à leurs desiderata. Comme si la France pouvait mieux affronter les grands défis de demain (dérèglement climatique, crise migratoire, menace terroriste…) en comptant sur ses seules forces plutôt que sur un effort commun et tenace avec ses partenaires européens. Et c’est sans parler de la complaisance coupable dont trois des principaux candidats, François Fillon, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, font preuve à l’égard de régimes qui bafouent les plus élémentaires des droits de l’homme (la Russie) quand ils ne massacrent pas leur peuple (la Syrie).

Pensée magique

Nul doute que les gouvernants d’hier et d’aujourd’hui sont les premiers responsables de cet engouement pour les projets les plus irréalistes ou les plus contestables. En échouant à résoudre quelques problèmes clés – chômage massif et endémique, compétitivité des entreprises, inégalités sociales et territoriales, enlisement du projet européen… –, ils ont miné la confiance des Français dans leurs dirigeants.

Est-ce une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain ? Est-ce une raison, au motif que les engagements passés n’ont pas été tenus, pour s’en remettre à la pensée magique et accorder crédit aux promesses les plus farfelues ou les plus périlleuses qui sont faites aujourd’hui ? Est-ce une raison pour s’offrir une crise de nerfs nationale quand il s’agit de désigner le président de la cinquième puissance mondiale ? On veut croire que non.