Après avoir longtemps épargné le Niger, Boko Haram a commis sa première attaque sur le territoire en février 2015 à Diffa, chef-lieu de la région du même nom, dans le sud-est du pays. Le groupe terroriste a ensuite multiplié ses actions au Niger : attaques et incendies de villages, raids contre des casernes de l’armée, tentatives d’attentats-suicides.

Les habitants de 211 villages, soit près de 200 000 personnes, ont dû fuir les exactions de Boko Haram sur les berges de la rivière Komadougou et dans le lit du lac Tchad pour se réfugier sur des sites spontanés le long de la route nationale numéro 1. Selon un décompte établi par les organisations humanitaires, près de 300 personnes ont été tuées par Boko Haram en deux ans au Niger.

Après avoir arrêté et incarcéré plus d’un millier d’éléments présumés du groupe islamiste, le gouvernement nigérien a fait une offre d’amnistie en décembre 2016 aux combattants de Boko Haram qui accepteraient de déposer les armes. Investi en juin 2016 gouverneur de la région de Diffa, Mahamadou Laouali Dan Dano, 47 ans, spécialiste en management des entreprises formé à Lille, dans le nord de la France, a la haute main sur ce délicat dossier des repentis.

Le sommaire de notre série « Retour à Diffa »

Après de longues années d’absence, Seidik Abba, chroniqueur et désormais reporter pour Le Monde Afrique, s’est rendu dans sa ville natale, Diffa, dans le sud-est du Niger. La région, en proie aux attaques de la secte terroriste Boko Haram depuis février 2015, a beaucoup changé depuis qu’il l’a quittée. Entre enquête de terrain et voyage intime, il raconte ce retour au pays. Premier épisode avec le gouverneur de la région, un expert en management des entreprises formé à Lille, dans le nord de la France, qui tente de dégarnir les rangs des terroristes. Puis Seidik ira interroger les victimes de la secte, paysans jadis prospères obligés de fuir leurs champs pour se retrouver dans des camps sans âme de réfugiés. Seidik Abba arpentera les couloirs des hôpitaux locaux puis partira en mission avec l’armée nigérienne, avant de nous proposer une lente promenade dans la ville de son enfance, aujourd’hui soumise aux consignes de sécurité et à la présence massive des ONG occidentales.

N’est-il pas paradoxal de proposer une amnistie à certains combattants de Boko Haram alors que d’autres sont jugés et lourdement condamnés ?

Mahamadou Laouali Dan Dano Notre main tendue a été officialisée le 22 décembre 2016 par le ministre de l’intérieur, Mohamed Bazoum. Il s’agit d’offrir l’occasion de rentrer dans le rang à tous les fils du pays qui se sont trompés à un moment de leur vie. De nombreux combattants veulent quitter Boko Haram mais ne peuvent pas revenir au Niger, par crainte d’être arrêtés. J’ai donc proposé au ministre cette nouvelle approche, et cela semble fonctionner. Depuis l’officialisation de notre main tendue, il y a moins d’attaques nocturnes contre les villages.

Quant aux personnes actuellement jugées, elles ne rentrent pas dans cette offre d’amnistie puisqu’elles ont été arrêtées avant le 22 décembre. Il n’y a donc aucune contradiction dans la stratégie de Niamey envers Boko Haram. Bien au contraire, nous pensons que l’amnistie et la répression pénale sont complémentaires. Au terme de leur peine, les condamnés suivront une formation professionnelle et bénéficieront d’une réinsertion sociale. C’est à cette étape qu’accèdent directement les repentis.

Quelle est la voie à suivre pour un combattant de Boko Haram qui souhaiterait se rendre ?

Nous avons différents canaux pour les informer de notre main tendue. L’offre diffusée dans les villages arrive forcément aux oreilles des concernés, car certains d’entre eux sont en contact avec leur famille. D’ailleurs, juste après l’officialisation de notre main tendue, 28 éléments de Boko Haram se sont présentés à nous. Nous en sommes aujourd’hui à 145 repentis. Ils sont directement conduits au commissariat de police pour être fichés. Ensuite, ils passent par un centre de transit où ils sont censés rester quarante-huit heures. Après quoi ces repentis arrivent au centre de déradicalisation. Là, on les soigne de l’idéologie mortifère qui leur a été inculquée.

Cette nouvelle approche procède d’une mûre réflexion. La victoire sur Boko Haram ne sera pas que militaire. Elle a aussi un volet développement, réinsertion sociale et formation professionnelle. J’ai pris mes fonctions quarante-huit heures avant la sanglante attaque du 3 juin 2016 contre la ville garnison de Bosso et je me suis immédiatement mis à analyser les causes qui poussent des jeunes gens, des enfants de nos villages, à rejoindre cette nébuleuse. Je suis arrivé à la conclusion que certains ont tout simplement été abusés. Il fallait donc les sortir des griffes de Boko Haram et leur donner l’opportunité d’apprendre un métier.

Ne craignez-vous pas de choquer les familles des victimes en accordant à leur place le pardon aux repentis ?

C’est une dimension qui ne nous a pas échappé. C’est pourquoi nous avons créé des comités au niveau des quatre départements concernés : Bosso, Diffa, Maïné-Soroa et N’Guigmi. Présidé par le préfet, chaque comité comprend les chefs de canton, les chefs de village et toutes les notabilités de la région. Il a deux missions essentielles : identifier chaque famille victime des exactions de Boko Haram et chaque famille dans laquelle un enfant est parti rejoindre la secte extrémiste.

A chaque famille victime, le comité va demander pardon au nom de l’Etat, ainsi qu’au chef du village. A chaque famille dont l’enfant est parti combattre au sein de Boko Haram, le comité précise que les autorités sont au courant de la situation. Si jamais des questions sont posées au comité, il lui appartient d’y répondre ou de les remonter au niveau régional. Nous convoquerons ensuite un atelier régional avec les quatre comités départementaux pour examiner l’ensemble des points soulevés. Il n’y aura aucune question taboue.

Mahamadou Laouali Dan Dano, gouverneur de la région de Diffa, au Niger. | Ousseïni Sanda

Vous avez pris en 2015 des mesures d’urgence telles que le couvre-feu et l’interdiction de l’usage des motos. Ne serait-il pas temps d’alléger ces restrictions ?

Face à un ennemi imprévisible et fourbe, il nous faut allier souplesse et vigilance. Au lendemain de ma prise de fonction, mon intention était de rouvrir tous les marchés de la région. Mais très vite, je me suis ravisé, car Boko Haram se servait des marchés pour revendre les animaux volés dans le lit du lac Tchad. Quelle ne fut pas leur panique quand nous avons fermé le marché de Gueskérou, à environ 35 km de Diffa, où Boko Haram venait écouler le bétail volé !

Dans le lit du lac Tchad, Boko Haram utilise une autre stratégie : obliger les éleveurs, qui ont parfois près de 2 000 têtes à abreuver, à acheter la paix en payant des taxes. Quant à l’interdiction de la moto, c’est une mesure justifiée. Les terroristes peuvent s’en servir pour se faufiler aisément dans la brousse après avoir attaqué nos forces de défense et de sécurité.

En dépit de la persistance de la menace, nous essayons d’alléger les contraintes des populations chaque fois que nous en avons l’occasion. Ainsi, sans même en référer à ma hiérarchie, j’ai pris sur moi de ramener le couvre-feu de 6 à 20 heures pour les voitures et de 6 à 21 heures pour les piétons, soit un allégement d’une heure par rapport à son entrée en vigueur en 2015.

Où en est-on de l’interdiction du commerce de poivrons et de poissons ?

Commençons par le poisson : l’année dernière, une partie de la population a cru bon de braver l’interdiction pour aller pêcher dans le lit du lac Tchad. Résultat, nous nous sommes retrouvés, à la fin du mois d’août, avec 90 personnes, dont huit Nigériens, égorgées par Boko Haram. S’agissant du poivron, les choses évoluent plus favorablement. Une production a pu être assurée cette année grâce aux autorisations d’achat d’engrais et de carburant que j’ai accordées. Le poivron est actuellement vendu librement sur les marchés de la région de Diffa. J’ai procédé à cet ajustement en tenant compte de l’évolution du contexte sécuritaire.

La vente de carburant et d’engrais n’est donc pas libre et il faut votre autorisation ?

Oui, elle est soumise à autorisation préalable et c’est moi qui signe les bons d’achat. Il y a une raison à cela : ce sont deux produits très prisés par Boko Haram, et une sorte de trafic lucratif s’est organisée. En fonction du périmètre des parcelles, j’autorise l’achat de la quantité de carburant et d’engrais nécessaire. Pour nous, tout l’enjeu est de concilier les impératifs de sécurité avec la volonté de ne pas pénaliser les paysans.

Mais en dépit de nos précautions, la secte a réussi à mettre en place, avec la complicité de certains exploitants, une technique qui consiste à diviser le sac d’engrais en deux : une moitié est remplie d’engrais, l’autre contient du riz. Avant de quitter son champ, le paysan met le sac dans la broussaille, à l’endroit convenu avec la secte. Dans la nuit, les éléments de Boko Haram viennent récupérer le sac en laissant de l’argent au même endroit.

Si la paix revenait aujourd’hui, il resterait l’immense défi du retour des populations dans les villages abandonnés…

C’est ma principale préoccupation. Ces personnes sont parties en courant, abandonnant tout sur place. Elles vivaient dans des maisons, des cases, des paillotes en banco. Après une, deux voire trois années d’absence, ces habitations sont tombées en ruines. Ce serait donc irréaliste de dire demain aux déplacés : “Ecoutez, la paix est revenue, rentrez chez vous !” Dès que l’environnement sécuritaire le permettra, il nous faudra dresser un état des lieux complet dans ces 211 villages abandonnés. Le Nigeria voisin a dû reconstruire des villages entiers, je peux vous dire que ce ne fut pas aisé…

Pour vous, combien de temps faudra-t-il pour que la situation redevienne normale ? Cinq ans ? Dix ans ?

Sans doute beaucoup moins. Je considère que la guerre contre Boko Haram est déjà terminée. Il ne reste plus qu’un banditisme résiduel que nous ne tarderons pas à réduire. La reconstruction devrait se faire très vite. La population est très brave, elle ne demande qu’à retrouver ses terres pour reprendre la production agricole et la pêche. Je réfléchis même déjà à la possibilité d’organiser des retours progressifs.

Il faut oser cette étape du retour en responsabilisant la population. L’enjeu est de faire en sorte qu’elle s’occupe elle-même des deux ou trois têtes brûlées de Boko Haram qui voudront venir faire le coup de feu. Les déplacés ont hâte de regagner leurs villages. Nous devons les y aider en leur faisant confiance pour neutraliser les derniers énergumènes de Boko Haram qui persisteront à vouloir troubler leur quiétude.