Dans les allées de la 34e Rencontre annuelle des musulmans de France, le 15 avril. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

Devant le hall 2 du parc des expositions du Bourget (Seine-Saint-Denis), la file d’attente pour la 34e Rencontre annuelle des musulmans de France s’allonge, samedi après-midi 15 avril. L’affiche du prochain débat, « Onze candidats à l’élection présidentielle, pour qui voter ? », attire un public fourni.

Beaucoup de ceux qui fréquentent cette vaste foire commerciale-lieu de conférences, organisée comme chaque année par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, dans la mouvance des Frères musulmans) jusqu’à lundi 17 avril, confessent n’avoir pas encore fait leur choix à une semaine du scrutin.

Un vote fractionné ?

Leïla, elle, a tranché. Elle votera « J.-L. M. », pour Jean-Luc Mélenchon. « Ce n’est ni la droite ni le PS, explique la femme de 32 ans, mère au foyer. Les socialistes, depuis cinq ans, n’ont cessé de stigmatiser les femmes musulmanes voilées. Cette fois, on va leur prouver qu’elles ne sont pas soumises ! » Comme beaucoup ici, elle avait voté pour François Hollande en 2012.

En 2017, le vote à gauche reste « une tendance de fond » prédominante chez les musulmans, confirme Fatima Khemilat, doctorante à Science Po Aix, qui conduit des entretiens qualitatifs avec certains d’entre eux pour sa thèse.

Mais il pourrait cette fois être plus fractionné qu’il y a cinq ans. Selon Fatima Khemilat, si la réforme avortée sur la déchéance de nationalité pour les binationaux accusés de terrorisme n’a « pas marqué les esprits, en revanche les discours répétés de Manuel Valls sur les musulmans et notamment sur le voile ont été vécus comme une trahison ».

Aucun candidat présent

Lorsque la salle du Bourget ouvre enfin ses portes pour le débat relatif à l’élection présidentielle, les curieux découvrent qu’ils devront se contenter d’un bref tour de table des quatre participants, l’organisateur déplorant qu’aucun des onze candidats à la présidentielle, à qui avait été transmise l’invitation, n’ait envoyé de représentant. Peu de présence électorale aussi aux abords du parc, où seuls des partisans de François Asselineau tractent.

Sur la défensive en raison des menaces régulièrement formulées par François Fillon, après Manuel Valls, et par Marine Le Pen, contre la mouvance des Frères musulmans, l’UOIF, qui s’est rebaptisée « Musulmans de France », a cependant pris soin de balayer largement le spectre politique.

Au cours du débat, l’un des intervenants était Camel Bechikh. Très marqué à droite, il a parlé de la « droite nationale » pour évoquer le Front national et il a plaidé pour un vote à droite. « Devons-nous encore accueillir de nouvelles vagues migratoires ? », a interrogé cet ancien militant contre le mariage homosexuel.

Pour sa part, Amar Lasfar, le président de l’UOIF, a conseillé de ne « pas se cantonner à ce que dit un candidat sur l’islam pour se prononcer sur ce candidat », dans ce qui peut passer pour une main tendue au candidat du parti Les Républicains. « Votez ! » a-t-il lancé lors de son discours, avec pour seule consigne : « Préservons la France de la menace de l’extrême droite. »

Amar Lasfar, au Bourget, samedi 15 avril. | Francois Mori / AP

Dans la salle, Ahmed Mcherfi, un responsable associatif de la région de Reims, relève : « Il fut un temps où on se posait la question de savoir s’il fallait voter. Aujourd’hui, on se demande pour qui voter. C’est un signe d’intégration. Les musulmans s’abstiennent depuis trente ans, ça fait le jeu de ceux qui ne veulent pas de présence musulmane en France. »

« L’abstention, c’est le mauvais choix : on ne pèse rien du tout », abonde dans ce sens Nabil Ennasri, président du Collectif des musulmans de France, déclenchant des applaudissements. Venue avec sa mère, Fatima hésite entre « Mélenchon, Hamon et Macron ». Elle regrette qu’ils ne « mettent pas ensemble les bonnes propositions qu’ils ont ». Le 23 avril, cette fonctionnaire votera pour « le plus tolérant, le plus juste et le plus dynamique ».

Nouveau parti

Hanan Zahouani a décidé d’aller plus loin. Cette femme de 40 ans, manageuse commerciale et militante associative, est candidate aux élections législatives de juin dans la 5e circonscription de la Seine-Saint-Denis (Bobigny, Drancy, Le Bourget). Elle tracte à l’entrée de la RAMF pour son parti nouveau-né, Français et musulmans, doté d’un « programme basé sur une éthique musulmane et en parfaite adéquation avec les valeurs républicaines ».

La formation se veut ni de droite, ni de gauche, ni du centre, avec des propositions allant de l’instauration d’un « salaire universel » au partage du travail, à l’intégration du culte musulman dans la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 et au « respect total de la pudeur devant les établissements scolaires ».

Plusieurs de ses cadres sont issus de l’Union des démocrates musulmans de France, quittée en raison de dissensions internes. Aux régionales de 2015, ce courant affirme avoir franchi la barre des 5 % des voix dans 161 bureaux de vote d’IIe-de-France. Pour les législatives de juin, Français et musulmans ont investi cinq candidats dans la Seine-Saint-Denis et un dans le Val-de-Marne.