Anthony Lopes s’est emporté dimanche après une brève discussion avec le responsable de la sécurité du club bastiais, Anhtony Agostini. | PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

A la veille de la réception de l’Olympique lyonnais, dimanche 16 avril, pour le compte de la 33e journée de Ligue 1, l’entraîneur de Bastia Rui Almeida avait eu ces mots prémonitoires : « Les supporters du Sporting sont très importants pour demain. C’est le douzième joueur. » Les supporteurs bastiais furent, de fait, très importants : leurs deux incursions sur la pelouse, durant l’échauffement et à la mi-temps, ont provoqué l’arrêt définitif de la rencontre. La commission de discipline de la Ligue de football professionnel (LFP) décidera jeudi du sort de la rencontre et, surtout, de celui du Sporting Club de Bastia.

Le club corse, déjà sous la menace d’un retrait d’un point pour le comportement passé de certains supporteurs, pourrait être lourdement sanctionné : le football français n’a jamais été habitué aux images vues dimanche au stade Armand-Cesari. Celles de supporteurs donnant des coups de pieds aux joueurs adverses, contraints de courir se réfugier dans le tunnel menant aux vestiaires.

Puis d’une nouvelle éruption de violence à la mi-temps lorsque des supporteurs et certains stadiers bastiais ont attaqué le gardien lyonnais Anthony Lopes et ses coéquipiers. Lopes, volontiers provocateur, venait de repousser des mains le directeur de la sécurité de Bastia, Anthony Agostini, après une brève discussion.

« Il va falloir être intransigeant », a dit à l’Agence France Presse la présidente de la LFP, Nathalie Boy de la Tour, anticipant la réunion de la commission de discipline. « Nous déplorons que le SC Bastia donne une image horrible de notre football, cela nuit à l’image du football professionnel, qui ne mérite pas cela. »

A Bastia, dirigeants et supporteurs font corps

Le choix des mots est important : la patronne du football professionnel français vise directement le club corse, et non simplement ses supporteurs. Le SC Bastia est régulièrement dans le viseur des instances pour les dérapages de ses ultras, de ses dirigeants ou de ses joueurs, qui collectionnent les cartons rouges - 13 expulsions cette saison, près du record détenu par Montpellier (14, en 2013-2014).

Le football n’est pas rien en Corse, considéré comme partie du patrimoine au même titre que les polyphonies. Deux clubs d’Ajaccio évoluent en Ligue 2 et le Cercle Athlétique Bastiais joue en National, la troisième division. Le Sporting est son représentant le plus populaire et le plus visible. « Je suis dégoûté. Notre football corse vient de prendre un sacré coup », a d’ailleurs réagi l’entraîneur du CA Bastia, Stéphane Rossi, dimanche.

Dans l’institution qu’est le Sporting, les dirigeants et supporteurs font toujours corps publiquement, sans s’empêcher de laver leur linge sale en famille, comme c’est le cas ces dernières semaines. Lorsqu’un membre de la tribune Est, d’où sont partis les incidents de dimanche, a frappé un joueur du Paris Saint-Germain lors du premier match de la saison, le club a dénoncé une simulation du Parisien Lucas. Lorsque des cris racistes ont visé le Niçois Mario Balotelli, toujours depuis cette tribune Est, le club a d’abord dit n’avoir rien entendu.

Le Sporting Bastia a quelque chose d’anachronique : les dirigeants ne sont pas des hommes d’affaires dotés d’une fortune personnelle et soutiennent leur club avec la même passion que les supporteurs. Elle peut être aveuglante ou les mener aux pires écarts de langage.

Sentiment de persécution

Comme lorsque, après le match aller à Lyon, l’entraîneur bastiais François Cicollini avait lancé en conférence de presse, bravache et en forçant un peu son accent : « Il va falloir venir chez nous. (…) Parce que ça va se régler comme d’habitude, comme des hommes ; comme des Corses. » François Cicollini contestait l’expulsion de deux de ses joueurs. Le club avait renchéri dans un communiqué, accusant l’arbitre de « s’être payé Bastia ».

Le sentiment de persécution est l’un des moteurs du SC Bastia. Il remonte à la catastrophe de Furiani, lorsque l’effondrement d’une tribune provisoire provoqua la mort de 18 personnes le 5 mai 1992. La promesse alors faite par le président François Mitterrand, ne plus jamais disputer un match le 5 mai, ne fut tenue que 23 ans plus tard.

Les relations entre la Ligue et le club étaient particulièrement tendus sous la présidence de Frédéric Thiriez (2002-2016), qui avait hérissé les Bastiais en ne descendant pas saluer les joueurs lors d’une finale de la Coupe de la Ligue ou en ne se déplaçant pas en Corse pour remettre le trophée de champion de Ligue 2, en 2012, vingt ans après le drame de Furiani.

En 2011 et 2012, la commission de discipline prit, après des successions d’incidents, la décision de délocaliser des rencontres du SCB, qui l’accusa en retour de « vouloir détruire le club ». En 2004, après une affaire d’insultes racistes visant un joueur bastiais, Pascal Chimbonda, le groupe impliqué avait annoncé sa dissolution et dénoncé une instrumentalisation de « l’appareil d’Etat, les instances footballistiques et au-delà, tous les médias et anti-corses traditionnels ». Le fondateur de ce groupe Testa Mora, Anthony Agostini, est devenu neuf ans plus tard directeur de la sécurité du SC Bastia, défaillante dimanche.