Il n’est plus temps de finasser. A cinq jours du premier tour de l’élection présidentielle, et dans un contexte rendu incertain par le resserrement des intentions de vote entre les quatre favoris des sondages, Marine Le Pen a décidé de tout miser sur un thème unique : l’immigration. Certes, ce choix n’est pas très original pour la candidate du Front national, représentante d’un parti qui place cette thématique au premier plan de ses préoccupations depuis près de quarante ans. Mais le camp frontiste, qui a semblé préparer pendant des mois le second tour de l’élection, se rend compte aujourd’hui de la nécessité de mobiliser sa base pour ne pas connaître une mauvaise surprise le soir du 23 avril.

« C’est un grand classique de revenir sur ses fondamentaux à la fin de la campagne. Tout le monde va le faire. Au premier tour, il faut rassembler son électorat », estime Philippe Olivier, conseiller de la candidate.

Plus de 5000 personnes etaient présentent lors du meeting de Marine Le Pen au Zenith de Paris le 17 avril. | LAURENCE GEAI POUR LE MONDE

Vote communautaire

Pour se faire entendre sur son sujet de prédilection, la présidente du parti d’extrême droite s’est donné les moyens de ses ambitions, à l’occasion du meeting qu’elle tenait au Zénith de Paris, lundi 17 avril. Devant plus de 5 000 personnes, la députée européenne a tout bonnement promis de mettre en place, au lendemain de son élection, un « moratoire immédiat sur toute l’immigration légale pour arrêter ce délire, cette situation incontrôlée, qui nous entraîne vers le fond ». Ce qui signifie, par exemple, qu’en cas d’accession de Marine Le Pen à l’Elysée, les étudiants étrangers ne pourront momentanément plus venir en France.

Ce moratoire, a appuyé la candidate, doit permettre de « faire le point de la situation, avant de mettre en place de nouvelles règles et une nouvelle régulation, beaucoup plus drastique, plus raisonnable, plus humaine, plus gérable ». De quoi rendre extatique la foule de ses supporteurs, qui a renoué avec les slogans de l’époque de Jean-Marie Le Pen en chantant en chœur : « La France aux Français ! »

La présidente du FN ne s’est pas arrêtée là dans sa charge anti-immigration. « Moi présidente, le rétablissement des frontières sera mis en place dès le lendemain de ma prise de fonction », a-t-elle assuré, répétant même à deux reprises cette proposition. Dans son programme, la candidate promet d’arriver à un solde positif de 10 000 entrées légales par an, ce qui signifie que 200 000 personnes peuvent encore entrer sur le territoire – comme aujourd’hui – à condition que 190 000 autres prennent le chemin inverse. Et Mme Le Pen d’estimer que, « pour beaucoup de Français, l’immigration massive est une oppression ».

« Elle n’est pas une chance pour la France, c’est un drame pour la France. Elle n’est une chance que pour mes concurrents, comme MM. Mélenchon, Hamon ou Macron », a-t-elle déclaré, sous-entendant qu’une logique de vote communautaire profiterait aux représentants de la gauche. Plus tard dans son discours, la candidate du FN a carrément estimé que les « Français d’origine étrangère » sont considérés par certains candidats comme de la « chair à voter ».

Mauvaise période

Cette offensive au clairon de la part de Marine Le Pen vise à polariser le débat autour de ses thèmes lors de la dernière semaine de campagne. Une stratégie classique pour elle. En 2015, un mois avant le premier tour des élections régionales, la présidente du FN avait réclamé l’expulsion des demandeurs d’asile, en pleine crise des migrants. Et trois ans plus tôt, en 2012, elle avait déjà suscité un débat conflictuel sur l’abattage rituel, à quelques semaines du scrutin présidentiel.

La favorite des sondages – en tout cas depuis 2013 –, qui lui promettent tous ou presque une qualification au second tour de la présidentielle, connaît une mauvaise période dans les intentions de vote. Ces dernières ont fléchi de près de quatre points en moyenne, depuis le mois de février, selon un décompte réalisé par le Huffington Post. Dans le même temps, celles de François Fillon et de Jean-Luc Mélenchon ont rencontré ces derniers jours une courbe ascendante.

Officiellement, au sein du Front national, personne ne craint une déconvenue. « Marine sera bien sûr en tête au soir du premier tour de l’élection présidentielle. L’enjeu sera d’avoir la plus grande avance possible », a encore lancé David Rachline, directeur de campagne de Mme Le Pen, lundi à la tribune. Mais le simple fait d’évoquer l’hypothèse d’une non-qualification pour le second tour témoigne des difficultés rencontrées au cours de cette campagne.

Discours musclé

Habituée à se retrouver au centre des controverses, la députée européenne a parfois semblé batailler seule dans son couloir, ne suscitant pas ou peu de réactions de la part de ses concurrents. Y compris lorsque son propos semblait à même d’éveiller des débats ou des indignations. « Il y a une volonté de la part de nos adversaires de ne pas répondre, s’étonne Jérôme Rivière, membre du comité stratégique de campagne de Mme Le Pen. Aucun candidat n’a imposé un de ses thèmes, chacun s’est évité. Marine a parlé de la France comme d’une université du djihadisme, et personne ne reprend, alors que c’est une position très forte. » Idem lorsqu’elle a mis en cause « 1 000 Roms », lors d’un déplacement à Denain (Nord), en janvier, pour expliquer tout de go l’insécurité que subit la ville.

Pour être certaine de marquer les esprits, lundi, la présidente du FN a articulé son propos sur l’immigration avec un passage sur la sécurité et le terrorisme. « Avec moi, il n’y aurait pas eu de Mohamed Merah, Français grâce au droit du sol (…) Avec moi, il n’y aurait pas eu les terroristes migrants du Bataclan et du Stade de France, ils ne seraient pas rentrés dans notre pays », a-t-elle affirmé. Et la candidate frontiste de s’alarmer d’une « porosité entre le terrorisme et la délinquance ». « La peur va changer de camp, le respect va revenir, la tranquillité va revenir », a-t-elle promis à ses supporteurs. Un discours musclé, qui a fortement plu à sa base. Mais qui risque, dans le même temps, de lui bloquer les conditions d’un élargissement de son électorat en vue d’un éventuel second tour.