Francisco Didpa un étudiant de 29 ans, dans un train de banlieue de Budapest, en Hongrie, en 2008. | BALINT PORNECZI / AFP

« Ô la belle vie/ (...) Sans soucis/Sans problèmes » et surtout… sans parents. A les entendre, les étudiants partis effectuer une tranche de leurs études à l’étranger pourraient reprendre à leur compte – en les adaptant légèrement – les paroles de la fameuse chanson de Sacha Distel.

De son séjour à Boston, aux Etats-Unis, Pablo Goujon se remémore avec bonheur la « liberté totale » dont il jouissait dans sa résidence universitaire, « tout en briques, avec un côté Poudlard », où il était logé, nourri, blanchi, avec en prime « la possibilité de rentrer à n’importe quelle heure… voire de ne pas rentrer du tout ! » Axelle C., étudiante à Skema, a goûté en Chine aux virées à scooter avec les copains le week-end, quand Guillemette Bailleul, actuellement à l’IRIS Sup’, a apprécié les charmes de la colocation dublinoise pendant quatre mois.

Seulement arrive le jour où l’auberge espagnole ferme ses portes et où il convient de regagner le bercail. Et la perspective de retrouver sa chambre d’ado fait naître chez chacun des sentiments mi-figue mi-raisin. Après quatre mois en Chine puis six aux USA, Axelle C. admet avoir été très contente de rentrer, d’autant que son séjour américain se déroulait au début de la campagne Trump, qu’elle avoue « ne pas avoir bien vécue ». « J’appréhendais le retour, confie pour sa part Guillemette Bailleul. Je l’avais anticipé, mais pas suffisamment, visiblement. » Car après avoir goûté aux joies de l’autonomie, difficile de se glisser à nouveau dans ses baskets d’adolescent qui semblent, désormais, définitivement trop étroites.

Les reproches ne se font pas attendre. « Il y a le classique : c’est pas un hôtel-restaurant, ici ! » rappelle Pablo Goujon. Guillemette Bailleul, elle, se souvient des fois où elle a oublié de prévenir qu’elle sortait. Le verre avec les copains s’éternise alors que l’heure du dîner familial approche et, sur le portable, fleurissent les textos outrés – « Mais tu es où ? » – dans lesquels le nombre de points d’exclamation et d’interrogation indique le niveau d’exaspération parental.

Un sentiment de retour en arrière

Alors qu’on a le sentiment d’avoir grandi durant son séjour à l’étranger, le retour à la maison donne le sentiment que le temps s’est arrêté, voire, d’un retour en arrière : « On mange à 20 heures, à 20 h 30, on regarde la fin des infos, et à 22 h 30, tout le monde est au lit », énumère Axelle. D’autant plus agaçant quand on voit des copains de promo qui, eux, ont regagné un studio, petit certes, mais bien à eux.

Car réintégrer le domicile familial, c’est aussi devoir composer avec un espace qui n’est plus à 100 % à soi. Impossible de laisser la vaisselle du petit déjeuner traîner sur la table de la cuisine ou son sweat-shirt sur le canapé du salon. « Il faut aussi réapprendre à partager une salle de bains, raconte Guillemette Bailleul, se coordonner sur l’horaire auquel chacun prend sa douche le matin. » La chambre devient vite le seul endroit réellement intime. « J’ai eu le sentiment de revenir chez mes parents, pas chez moi », résume Axelle.

De ce décalage naissent de nouvelles frictions. Car les parents s’attendent à retrouver l’enfant qu’ils avaient quitté quelques mois auparavant, pas nécessairement un jeune adulte. « J’ai eu le sentiment d’une deuxième crise d’ado, analyse Guillemette Bailleul. Pendant mon séjour à Dublin, j’ai appris à me construire seule, à prendre du recul sur mon éducation. Par exemple, mettre les coudes sur la table pendant le dîner ne me semblait pas franchement dramatique. »

Par conséquent, cette incompréhension se traduit de façon biaisée dans la vie de tous les jours. « Quand j’expose un point de vue différent du leur, sur la politique par exemple, ils surréagissent, raconte Axelle. Comme s’ils prenaient personnellement ma différence de point de vue, comme s’ils y voyaient un rejet de ma part. » Pour éviter que la cohabitation ne tourne au pugilat, la jeune fille a mis en place quelques astuces. Elle s’est ainsi remise au sport pour évacuer la « frustration ». Et se lève le matin une demi-heure plus tôt que ses parents pour profiter d’un moment de solitude.

« Non seulement nous avons changé, mais nos parents aussi ! Il faut réécrire le contrat entre nous pour repartir sur des bases saines. » Pablo Goujon (séjour à Boston, aux Etats-Unis)

Un réapprivoisement commun : c’est finalement ainsi que ces étudiants définissent le véritable enjeu de leur retour à la maison. « Il est impossible de repartir sur les mêmes bases qu’avant son départ, estime Pablo Goujon. Non seulement nous avons changé, mais nos parents aussi ! Il faut réécrire le contrat entre nous pour repartir sur des bases saines. » Tout est une question de dosage. Négocier de la liberté sur les soirées tout en se préoccupant de la répartition des tâches ménagères ou en cherchant un job d’appoint permet ainsi de montrer qu’on a gagné en responsabilités sans braquer ses géniteurs et sans (trop) sacrifier son autonomie fraîchement acquise.

Aux enfants, de leur côté, de faire preuve d’une certaine compréhension. « Nos parents n’ont pas vécu cette génération Erasmus, justifie Guillemette Bailleul. Ils ne se rendent pas compte de ce que nous avons vécu et de combien l’indépendance que nous avons conquise à l’étranger nous est chère. »

Et la jeune fille de pointer la nécessité de dire clairement les choses : « Nous devons aussi mieux communiquer sur notre ressenti, estime-t-elle. Un jeune a parfois tendance à rester un peu dans sa bulle. A s’arc-bouter sur ce sentiment d’être incompris. A nous de les prévenir que l’atterrissage risque d’être un peu compliqué. » Actuellement en stage, Axelle a choisi, elle aussi, de mettre de l’eau dans son vin : « Ce sont leurs derniers moments avec moi avant que je me lance dans la vie active. »

Aussi se montre-t-elle compréhensive, tout en posant certaines limites. Ainsi, lorsqu’elle est en télétravail, explique-t-elle patiemment à sa mère, non, celle-ci ne peut pas faire irruption à tout moment dans sa chambre pour lui proposer un thé. « Je fais de mon mieux pour leur faire plaisir tout en les éduquant à mon départ », résume-t-elle. Comme si ce retour permettait de parfaire ce qui reste le plus dur apprentissage de la vie de parent : voir son enfant s’envoler.