Eric Ciotti et Christian Estrosi sont venus soutenir François Fillon, à Nice le 17 avril. | VALERY HACHE / AFP

Les fillonistes ont la rancune tenace et le pardon difficile. Même un jour de Pâques. Lundi 17 avril, Christian Estrosi l’a une nouvelle fois appris à ses dépens. Lors d’un meeting de François Fillon à Nice, le président de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur a été hué dans la ville dont il a été le maire de 2008 à 2016. D’abord lorsque son nom a été prononcé par la députée des Alpes-Maritimes Marine Brenier. Puis, une grande partie de la salle l’a conspué au moment de sa prise de parole.

Pour la fillonie radicalisée, le sarkozyste a multiplié les péchés. « Coupable » d’avoir douté du candidat le week-end du Trocadéro, fautif d’avoir voulu le remplacer par Alain Juppé, honni pour avoir discuté avec Emmanuel Macron, le 1er avril… L’ancien ministre commence à avoir l’habitude. Il avait déjà été sifflé au meeting de Toulon, le 31 mars. « Ceux qui n’ont pas eu un accueil amical à Toulon, je les respecte car ils appartiennent au grand mouvement qui doit nous conduire à la victoire », a déclaré M. Estrosi. Contrairement à la soirée de Toulon, François Fillon a cette fois-ci réagi pour calmer ses troupes. Magnanime, le candidat s’est levé, a posé ses mains sur les épaules de M. Estrosi avant de l’applaudir.

Un nouveau geste de Sarkozy ?

L’image illustre les rancœurs nées lors de cette longue campagne. A six jours du premier tour, elle tombe au mauvais moment. François Fillon rêvait plutôt d’afficher le rassemblement de la famille. Tous les jours de cette semaine, il a prévu de se montrer aux côtés des personnalités de droite. Mardi, il doit se rendre à Calais puis à Lille avec Xavier Bertrand. Mercredi, en fin de matinée, il doit faire une simple visite avec Alain Juppé. Un meeting commun était inenvisageable. Les risques de sifflets contre le rival de la primaire sont trop importants. Selon nos informations, il a aussi demandé à Nicolas Sarkozy en fin de semaine dernière, de faire un nouveau geste en sa faveur. Ce soutien aurait lieu jeudi ou vendredi, soit deux semaines après le message publié sur Facebook par l’ancien président de la République. Visite commune ? Message vidéo ? Les deux équipes n’ont pas encore tranché.

A l’approche du premier tour, la stratégie de François Fillon est transparente. Après un hiver où les défections se sont multipliées et où son QG s’est vidé d’une partie de ses soutiens, l’ancien premier ministre veut offrir un semblant d’unité à ses électeurs dans la dernière ligne droite. Face à la montée du « bobolchévisme » de Jean-Luc Mélenchon, selon l’expression du maire de Cannes, David Lisnard, et au danger incarné par Marine Le Pen, il faudrait oublier les plaies de la primaire et les haut-le-cœur provoqués par sa mise examen. Et se retrouver rassemblés dans l’isoloir. « L’électorat de droite va rentrer dans le lit du fleuve. Nous aurons à la fin une majorité de Français en faveur de l’alternance », a déclaré le candidat dans une interview au quotidien Nice-Matin, lundi. « Le message qui doit être envoyé en rassemblant les personnalités, c’est que certains ont pu être déçus, mais qu’ils ont toujours la volonté de gagner, de tourner le dos aux socialistes », résume Luc Chatel, porte-parole du candidat.

« A ces femmes que l’on cache… »

Pour convaincre les électeurs déçus de se résoudre à voter pour son programme malgré sa personne, François Fillon a décidé de segmenter son électorat lors de ce sprint final. Lundi, à Nice, il s’est adressé à la droite du Sud-est lors d’un discours très musclé sur la sécurité et l’identité. Peines planchers, abaissement de la majorité pénale à 16 ans, constructions de places de prison… Il a ressorti chacune des mesures de son arsenal pénal. Mais, à Nice, une ville marquée par l’attentat de la promenade des Anglais du 14 juillet 2016, il s’est surtout posé en défenseur d’une France éternelle menacée par les assauts de l’islamisme.

« Je veux m’adresser à toutes les femmes que l’on cache, que l’on maltraite, que l’on choisit d’habiller différemment au nom de la religion (…) A ces femmes-là, je dis que je me battrai à leurs côtés pour défendre leurs droits fondamentaux », a-t-il déclaré, avant d’accuser la gauche d’avoir provoqué la montée de l’islamisme : « Pendant 30 ans, la gauche française a culpabilisé ceux qui se sentaient patriotes. Elle a prôné le rejet de la nation. (…) Ce discours pénitentiel, je n’en veux plus. Il est irresponsable. Pire, il a fait de nous la proie de l’islamisme radical, qui a bien compris que c’était le talon d’Achille de l’Occident. »

Mardi, il devrait tenir le même genre de propos à Calais et Lille, une région où Marine Le Pen fait aussi de gros scores. Ce ciblage des terres frontistes arrive après une séquence consacrée à la remobilisation de l’électorat catholique. Samedi, il a prononcé un discours sur l’identité de la nation française à proximité de la cathédrale du Puy-en-Velay. Dimanche, il n’a pas écarté l’idée d’intégrer des membres de Sens commun, l’émanation politique de la Manif pour tous, dans son gouvernement.

Francois Fillon félicite Christian Estrosi après son discours lors du meeting électoral du candidat du parti Les Républicains, à Nice, le 17 avril. | ERIC GAILLARD / REUTERS

Electeurs égarés

François Fillon, apôtre d’une France enracinée opposée à la « la France open space de M. Macron », selon son expression, ne peut pas délaisser son flanc gauche. Dans cette élection indécise, il est bien obligé d’envoyer aussi des signaux à la droite modérée tentée par l’ancien ministre de l’économie. Mercredi, sa visite avec Alain Juppé se fera à l’Ecole 42, fondée par Xavier Niel, actionnaire à titre personnel du Monde. Dans ce lieu spécialisé dans la formation des développeurs, il espère adresser un signe aux plus jeunes et au centre droit fortement perturbé par les affaires. Lundi, il a aussi répondu à des questions sur Snapchat, un réseau social prisé par les plus jeunes. Il y a été interrogé sur le prix des kebabs : « Ce n’est pas le président de la République qui fixe le prix des Grecs, en revanche je veux baisser les charges des entreprises pour qu’elles puissent vendre leurs produits moins chers », a-t-il répondu.

A entendre les fillonistes, ce travail très ciblé sur les différentes franges de la droite devrait être suffisant pour faire revenir suffisamment d’électeurs égarés le jour du premier tour. « Je vais vous faire une confidence, nous allons gagner cette élection », a estimé l’ancien premier ministre, lundi soir. En faisant le plein de voix dans sa propre famille politique, M. Fillon peut encore espérer survivre au premier tour. Reste à éviter les sifflets et surtout à convaincre une majorité de Français lors du second tour.

  • Tensions avec la presse Lors du meeting de François Fillon, lundi 17 avril à Nice, un protestataire a pénétré dans la salle et a crié : « On s’en fout, rends l’argent. » Quelques journalistes se sont alors dirigés vers lui pour filmer ou photographier cette scène. Le candidat a aussitôt critiqué la presse : « C’est drôle, il suffit qu’il y ait une personne qui émette un jugement critique pour que l’ensemble des médias sorte de la salle et le suive. » Ses partisans l’ont applaudi, avant de siffler les journalistes. Au même moment, un sympathisant de M. Fillon a craché sur une journaliste de BFM-TV.