Dans une démarche inhabituelle, Jean-Jacques Urvoas publie, mardi 18 avril, une Lettre du garde des sceaux à un futur ministre de la justice, aux éditions Dalloz, et accorde en même temps une interview à Libération. On y sent la frustration d’un homme nommé ministre le 27 janvier 2016, qui n’a eu que quinze mois pour agir.

A la fois bilan, forcément positif, et testament, ce petit opuscule de cinquante-huit pages peut être également lu comme une offre de services à un futur président de la République. S’il confirme à Libération qu’il votera socialiste au premier tour de l’élection présidentielle, c’est uniquement, « parce qu’[il a] tellement critiqué l’attitude des frondeurs qu’[il ne va] pas recourir aux mêmes pratiques ».

« Coordonner la préparation d’un texte »

Le successeur de Christiane Taubira souligne dans cette « lettre » combien l’urgence de la justice impose une démarche apartisane. Côté justice, il a soutenu la mission d’information sur le redressement de la justice emmenée par le sénateur Les Républicains Philippe Bas.

Côté pénitentiaire, il a nommé l’ex-sénateur LR Jean-René Lecerf, à la tête d’une commission pour un Livre blanc sur les prisons. Ces deux rapports publiés les 4 et 5 avril devraient permettre, selon M. Urvoas, au prochain garde des sceaux d’élaborer rapidement un projet de loi de programmation afin de structurer et de garantir l’effort budgétaire pour les cinq prochaines années, au moins.

Là encore, dans une démarche inhabituelle à la veille d’une alternance politique, le garde des sceaux explique avoir demandé au secrétaire général du ministère de « coordonner la préparation d’un texte » de loi et de ­préparer « dès le mois de mai les éléments pour les budgets 2018, 2019 et 2020 ».

C’est de fait sur l’orientation budgétaire que l’ex-président de la commission des lois de l’Assemblée nationale a le plus réussi lors de son passage place Vendôme. De ce point de vue, son testament est cohérent avec son action. Il pourra difficilement être critiqué, comme peuvent l’être certains donneurs de leçons de tous bords qui ont oublié ce qu’ils ont fait, ou n’ont pas fait, lorsqu’ils étaient à l’action au gouvernement.

Dix chantiers soumis

Parmi les dix chantiers qu’il soumet au prochain garde des sceaux, M. Urvoas propose de « réviser le droit des peines et briser le systématisme de l’emprisonnement ». Un domaine sur lequel le quinquennat de François Hollande est un échec alors que le nombre de détenus pourrait avoir franchi au 1er avril le cap jamais atteint de 70 000 personnes. La loi pénale de 2014 portée par Christiane Taubira a raté son objectif de promouvoir d’autres sanctions pénales que la prison.

Son successeur, qui salue dans sa lettre le rapport de Bruno Cotte,président honoraire de la chambre criminelle de la Cour de cassation, sur la « refonte du droit des peines », ne s’en est guère préoccupé. Faute de temps, certainement, mais peut-être aussi de volonté.

Car sur ce point comme sur le niveau élevé de la détention provisoire (28,5 % des détenus sont des prévenus) qu’il déplore fortement, s’il recommande à son successeur d’agir par la loi, il n’a pas préparé le terrain. Contrairement à ce qu’il a fait par exemple en préparant un plan de construction de nouvelles prisons pour viser l’objectif de 80 % des détenus en cellules individuelles d’ici à 2025.

Sur la justice du quotidien, celle des petits litiges civils, le ministre réaffirme que la solution pour améliorer l’efficacité de juridictions débordées ne se réduit pas à la question des moyens. Encourager en amont le recours à la conciliation et réduire en aval les possibilités d’appel, en interdisant notamment de réserver certains arguments à cette seconde étape, font partie des propositions pragmatiques que reprennent d’ailleurs aujourd’hui plusieurs candidats à l’élection présidentielle.